Des leaders des Églises du Canada se mobilisent : Élimination des armements nucléaires
vendredi le 20 mars 1998Note : Dû à un problème de transmission électronique, cette lettre envoyée au Premier ministre du Canada, M. Jean Chrétien, le 18 février dernier, n'est disponible qu'à partir d'aujourd'hui sur notre site. Le Service des communications de la CECC jugeait important, malgré le délai, que les visiteurs en prennent connaissance.
Le Très Honorable Jean Chrétin, p.c. Premier ministre du Canada Chambre des Communes Ottawa, ON, K1A 0A6
c.c l'Honorable Lloyd Axworthy, le ministre des affaires étrangères
Cher Monsieur le Premier ministre,
Nous tenons à vous exprimer notre profonde gratitude pour le leadership soutenu et courageux dont a fait preuve votre gouvernement pour mettre un terme au fléau des mines antipersonnel. Nous saisissons l'occasion pour vous inviter à démontrer le même engagement visionnaire et à déployer les efforts nécessaires pour éliminer les armements nucléaires.
Nos communautés chrétiennes se sont réjouies avec tous les Canadiens et Canadiennes, et plus particulièrement avec les victimes des pays ravagés par les mines, de ce grand moment, en décembre dernier, à Ottawa, où le ministre des Affaires étrangères, l'Honorable Lloyd Axworthy, a signé, au nom du Canada, le traité interdisant les mines antipersonnel, et où vous avez présenté au Secrétaire général des Nations unies un exemplaire de la législation faisant du Canada le premier pays à ratifier le traité. Cet événement marquant témoigne du riche potentiel de l'action commune des gouvernements et des organisations de citoyens, et de façon particulière, du potentiel des leaders qui prennent les devants pour lancer des défis et encourager.
Nous sommes reconnaissants de votre implication personnelle, du rôle prépondérant joué par Monsieur Axworthy et plusieurs fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères. Notre reconnaissance et nos félicitations vont également aux milliers de Canadiens et Canadiennes, qui, individuellement ou collectivement, ont contribué, par leurs énergies et leur expertise, à la réalisation de ce projet.
Les communautés chrétiennes du Canada, répondant à l'appel de Dieu qui nous invite à être des témoins d'amour et de réconciliation dans un monde toujours souffrant, ont participé à ce mouvement. En tant que leaders des Églises, cette invitation de Dieu nous incite à lancer un appel pressant à nos communautés chrétiennes, à tous les Canadiens et Canadiennes, ainsi qu'à vous et votre gouvernement, pour que tous s'engagent à nouveau à relever ce que nous croyons être l'un des plus sérieux défis spirituels de notre temps: se débarrasser des plans et des moyens d'anéantissement nucléaire.
La volonté et l'intention de lancer une attaque nucléaire dans certaines situations témoignent de façon éloquente de notre faillite spirituelle. Nous estimons que la prétention des États détenteurs d'armes nucléaires et de leurs alliés, y compris le Canada, selon laquelle ces armes sont indispensables à leur sécurité, est une insulte inouïe à l'humanité. Les armes nucléaires n'assurent pas et ne peuvent assurer la sécurité; elles sont source d'insécurité et de danger. En effet, elles promettent d'anéantir ce qui est le plus précieux: la vie elle-même et l'écosystème planétaire duquel toute vie dépend. Elles n'ont aucun fondement moral, n'ont pas d'utilité militaire, et, selon le récent jugement de la Cour internationale de justice, leur légalité est sérieusement mise en doute. L'élimination des armes nucléaires est l'unique façon de prévenir l'holocauste spirituel, humain et écologique que constituerait une attaque nucléaire. Il est de notre devoir commun de poursuivre cet objectif: c'est une priorité absolue.
Les Églises canadiennes travaillent depuis longtemps en faveur de l'élimination des armes nucléaires. En 1982, elles ont écrit au Premier ministre Trudeau et elles l'ont rencontré. À cette occasion, elles ont affirmé «que les armes nucléaires ne peuvent, sous quelque forme que ce soit et quel qu'en soit leur nombre, être considérées comme étant un élément légitime des forces armées nationales.» En 1988, les Églises ont fait parvenir le même message au Premier ministre Brian Mulroney, soutenant que «les armes nucléaires n'ont pas leur place dans la politique de défense nationale.»
Depuis, nous nous sommes réjouis des importants progrès réalisés pour mettre un terme à la course aux armements nucléaires et réduire la taille des arsenaux nucléaires des super-puissances. Mais ces progrès, aussi encourageants qu'ils soient, demeurent insuffisants. La fin de la Guerre froide offre une occasion sans précédent de mettre en branle le processus menant à l'élimination complète des armes nucléaires. De plus, le récent jugement de la Cour internationale de justice a confirmé qu'il y avait là une obligation juridique.
Nous sommes particulièrement troublés par le refus des États détenteurs d'armes nucléaires d'entamer des négociations visant l'abolition de tels armes, de fixer des échéanciers et des objectifs clairs. Nous sommes très déçus, qu'à ce jour, le Canada souscrive à ce refus. En fait, les États détenteurs d'armes nucléaires continuent de prendre des mesures pour maintenir, «améliorer» ou «moderniser» leurs arsenaux nucléaires et ce, pour un avenir indéterminé.
Nous croyons sincèrement que le Canada puisse grandement contribuer à l'élimination du nucléaire. À cet égard, nous sommes heureux de l'engagement inscrit dans "Bâtir notre avenir ensemble", votre second «Livre rouge», où l'on peut lire… «qu'un gouvernement libéral réélu… ne ménagera aucun effort pour assurer la suppression des arsenaux nucléaires et chimiques et des mines antipersonnel dans le monde.» Force nous est de constater, toutefois, que le Canada continue d'appuyer et de rechercher la protection illusoire des armes nucléaires de différentes façons (voir l'Annexe, pp. 3-4). Cette position compromet le rôle de promoteur du désarmement nucléaire du Canada à l'Assemblée générale des Nations unies, à la Conférence sur le désarmement, et dans d'autres forums.
Le temps est venu pour le Canada de se prononcer fermement contre la possession d'armes nucléaires par quelqu'État que ce soit. L'élimination des armes nucléaires doit devenir l'objectif premier de la politique canadienne en ce domaine. Le Canada doit aussi ajouter sa voix et demander qu'on entame immédiatement des négociations menant à la signature d'une Convention sur les armes nucléaires.
À cette fin nous considérons que le Canada devrait prendre immédiatement les initiatives suivantes:
- faire pression sur tous les États pour qu'ils négocient d'ici l'an 2000 une entente pour l'élimination des armes nucléaires selon un strict échéancier;
- faire pression sur tous les États détenteurs d'armes nucléaires pour que, à titre de mesures intérimaires et comme signe de leur bonne foi, ils mettent fin à l'état d'alerte dans lequel se trouvent toutes leurs forces nucléaires et s'engagent à ne pas faire usage de leur droit de première frappe;
- renoncer à ce que les armes nucléaires jouent quelque rôle que ce soit dans la politique de défense canadienne, et inviter les autres pays à faire de même, y compris la Russie et les alliés du Canada au sein de l'OTAN;
- réévaluer la légalité de toutes les activités du Canada liées aux armes nucléaires, à la lumière du verdict de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996 et, après un tel exercice, s'acheminer rapidement vers l'arrêt de toute activité dont la légalité paraîtrait désormais ambiguë; et
- endosser publiquement les conclusions du Rapport de la Commission de Canberra publié le 14 août 1996, et tout particulièrement ses recommandations à l'effet que les États détenteurs d'armes nucléaires «s'engagent sans équivoque à l'élimination des armes nucléaires et s'entendent pour entamer immédiatement les démarches et les négociations menant à cette fin», et que les États non dotés d'armes nucléaires appuient cet engagement et coopèrent à sa mise en application.
- Déployer une partie de ses compétences diplomatiques et utiliser son poids politique pour faire en sorte que le monde débute le prochain millénaire muni d'un traité éliminant le fléau des armes nucléaires; c'est la meilleure façon pour le Canada de témoigner de son rôle de bâtisseur et d'agent de rapprochement au sein de la communauté internationale.
Les Églises canadiennes que nous représentons poursuivront leur travail pour l'élimination des armes nucléaires, et ce, en collaboration avec Project Ploughshares et d'autres initiatives canadiennes et internationales dédiées à cette fin. Soucieux de collaborer à cette cause commune, nous vous demandons respectueusement de nous accorder dans les meilleurs délais, un entretien au cours duquel nous pourrons discuter de quelles façons les Églises peuvent appuyer davantage le gouvernement dans l'élaboration de démarches neuves et audacieuses qui témoignent du caractère urgent et prioritaire de l'élimination des armes nucléaires.
Dans l'attente de votre réponse, nous vous assurons, vous et vos collègues du gouvernement du Canada, des prières et des bons souhaits des Canadiens et Canadiennes.
Son Éminence l'archevêque métropolitain Sotirios
La métropole orthodoxe grecque de Toronto (Canada)
Père Anthony Nikolic
L'Église catholique nationale polonaise du Canada
M. M.L. Bailey
Modérateur
L'Église chrétienne (Disciples du Christ) au Canada
Le Très Rév. Bill Phipps
L'Église unie du Canada
L'évêque Telmor Sartison
L'Église évangélique luthérienne au Canada
L'archevêque H. Derderian
Primat
Le diocèse canadien de l'Église arménienne
Marvin Frey
Directeur exécutif
Le Comité central mennonite du Canada
Le Rév. Dr Kenneth W. Bellous
Ministre exécutif
La Convention baptiste de l'Ontario et du Québec
Le Très Rév. Dr Daniel D. Rupwate
Super intendant
British Methodist Episcopal Church
Gale Willis
La Convention annuelle canadienne de la Société des Amis (Quakers)
Jim Moerman
L'Église réformée en Amérique
Le Rév. Arie G. Van Eek
Council of Christian Reformed Churches in Canada
Père Marcos Marcos
L'Église orthodoxe copte au Canada
Le Très Rév. Michael G. Peers
Primat
L'Église anglicane du Canada
Le Rév. Messale Engeda
L'Église orthodoxe éthiopienne Tewahedo
Donald V. Kerr
Commissaire
L'Armée du Salut
John Congram
Modérateur
L'Église presbytérienne au Canada
Mgr François Thibodeau, c.j.m.
Président de la Commission épiscopale sur les affaires sociales,
la Conférence des évêques catholiques du Canada
L'évêque Seraphim
Évêque d'Ottawa et Canada
L'Église orthodoxe en Amérique
Annexe
Documentation de base pour la déclaration de 1997 des dirigeants des Églises canadiennes sur l'armement nucléaire
- Historique de l'engagement à abolir les armes nucléaires :
Dès le début de l'ère nucléaire, la communauté mondiale a reconnu la nécessité d'éliminer les armes nucléaires. Des gouvernements, dont celui du Canada, reconnaissent depuis longtemps leur obligation de le faire.
- En l946, l'Assemblée générale des Nations unies créait la Commission de l'énergie atomique de l'ONU, qui se voyait confier, entre autres, le mandat de faire des propositions visant à «éliminer des armements nationaux les armes atomiques et toutes les autres armes capables de destruction massive.»
- En 1968, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de l'ONU établissait l'obligation légale de «poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée…»
- En 1978, la première Session extraordinaire de l'Assemblée des Nations unies consacrée au désarmement réaffirmait que «ce sont les armes nucléaires qui posent le plus grand danger pour l'humanité et pour la survie de la civilisation. Il est essentiel de freiner et de renverser la course aux armes nucléaires sous tous ses aspects, afin d'écarter le danger d'une guerre faisant appel à des armes nucléaires. Le but ultime, dans ce contexte, est l'élimination des armes nucléaires.»
La fin de la guerre froide n'a pas diminué le besoin d'éliminer ces armes.
- En 1992, le secrétaire général des Nation-unies, Boutros Boutros-Ghali, publiait un rapport sur la priorité du contrôle des armes et du désarmement dans le monde de l'après-guerre froide, réaffirmant que «La communauté internationale peut viser un objectif non moindre que celui de l'élimination complète des armes nucléaires.»
- En juillet 1996, la Cour internationale de justice confirmait que tous les pays sont obligés par la loi internationale «de poursuivre de bonne foi et de mener à bonne fin des négociations relatives au désarmement nucléaire sous tous ses aspects, sous un contrôle international strict et efficace.»
- En août 1996, la Commission de Canberra, formée par le gouvernement australien, concluait également «qu'il fallait s'engager sans équivoque vers l'élimination de toutes les armes nucléaires et de la menace qu'elles constituent.»
- Progrès encourageants dans les efforts de réduction des armes nucléaires :
Il s'est accompli, au cours des dernières années, des progrès sensibles dans les démarches visant à mettre fin à la course aux armes nucléaires et à réduire l'importance des arsenaux nucléaires des superpuissances. On a également assisté à des événements encourageants dans d'autres parties du monde. La dernière décennie a vu la signature du Traité sur les fusées nucléaires à portée intermédiaire (INF), le traité (START) I (Strategic Arms Limitation Talks), le Traité START II et le début de la collaboration américano-russe en matière de sécurité et de démantèlement des armes nucléaires, de même qu'une série importante de désistements, de réductions, d'annulations et d'arrêts de production unilatéraux de la part des deux pays.
Il s'est également survenu des choses encourageantes dans le reste du monde, dont la décision de l'Afrique du Sud, en 1991, d'éliminer entièrement son arsenal nucléaire; le statut permanent du Traité sur la non- prolifération des armes nucléaires (NPT) en 1995; l'adhésion récente du Bélarus, du Kazakhstan et de l'Ukraine au NPT en tant qu'États non dotés d'armement nucléaire; la poursuite du renforcement des zones libres d'armes nucléaires de l'Amérique latine et du Pacifique Sud; enfin, la création de nouvelles zones libres d'armement nucléaire en Afrique et en Asie du Sud-ouest. Le parachèvement, en 1996, du Traité d'interdiction totale des essais nucléaires, interdisant tout autre essai d'armes nucléaires, a représenté un grand pas en avant, même si l'entrée en vigueur officielle du traité risque d'être retardée de plusieurs années. On continue, par ailleurs, de faire des progrès aux chapitres de l'interdiction de matières fissiles pour fins militaires et des mesures visant à l'élimination des autres armes de destruction massive, dont la récente entrée en vigueur de la Convention d'intervention des armes chimiques et les pourparlers en cours pour la révision de la Convention d'interdiction des armes biologiques.
Les organisations non gouvernementales (ONG), les institutions et les individus ont grandement contribué à centrer l'attention sur l'abolition. Le World Court Project, une coalition d'ONG et d'individus de toutes les parties du monde a contribué à déférer à la Cour internationale de justice la question de la légalité des armes nucléaires. Le réseau Abolition 2000, une coalition internationale regroupant au-delà de 700 ONG, fut créé en 1995 pour coordonner les mesures politiques en vue de l'abolition des armes nucléaires. Un groupe similaire, mais ciblant le Canada, le Réseau canadien pour l'abolition des armes nucléaires (CNANW), fut créé en 1996. Project Ploughshares est membre de ces deux réseaux. En décembre 1996, on a assisté à un autre important exemple de revendications de simples citoyens, lorsque 60 anciens généraux et amiraux de toutes les parties du monde ont signé une déclaration demandant aux gouvernements d'éliminer les armes nucléaires.
Nous en sommes donc à un moment tout désigné pour réexaminer les politiques canadiennes en matière d'armes nucléaires. En septembre, Project Ploughshares mettait sur pied une série pancanadienne de tables rondes dirigées par l'ex-ambassadeur au désarmement Doug Roche, pour aider à attirer l'attention des Canadiens sur l'importance de travailler à l'abolition. Un mois plus tard, le ministre des Affaires étrangères Lloyd Axworthy demandait au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international (SCFAIT) de réviser les politiques canadiennes en matière d'armement nucléaire, citant, entre autres, le rapport des tables rondes, Canada and the Abolition of Nuclear Weapons.
Le SCFAIT commençait sa révision en mars 1997, pour suspendre presque immédiatement toute activité à cause des élections fédérales. Il étudie actuellement l'opportunité de reprendre ses travaux.
- Les stratégies nucléaires et la fabrication des armes nucléaires se continuent :
Les états détenteurs d'armes nucléaires continuent de résister aux démarches faites par les Nations unies en vue de prendre, ou même de conceptualiser, les mesures concrètes nécessaires à l'interdiction des armes nucléaires. Ces États, tout comme leurs alliés, soutiennent toujours que ces dernières sont nécessaires à leur sécurité. Le Groupe de planification nucléaire de l'OTAN, par exemple, maintient que «ce sont les forces nucléaires stratégiques de l'Alliance qui représentant la garantie suprême de sécurité des alliés.» Les États détenteurs d'armes nucléaires ont résisté à toute tentative d'entreprendre des négociations sur l'abolition des armes nucléaires et continuent de prendre des mesures pour maintenir la viabilité de leurs arsenaux nucléaires pour un temps indéfini.
Les trois États détenteurs d'armes nucléaires membres de l'OTAN, soit les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, poursuivent délibérément leur déploiement d'armes nucléaires, tout en s'affirmant en faveur d'un désarmement nucléaire total.
En 1997, les États-Unis déployaient la nouvelle bombe B61-11 (surnommée «la défonceuse de bunkers»), destinée à frapper les bunkers de commandement enfouis à des centaines de mètres de profondeur, de même que toute autre cible enfouie profondément. Malgré le nouveau traité d'interdiction totale des essais nucléaires (Comprehensive Test Ban Treaty), qui devait mettre à jamais un terme à tout essai nucléaire dans tous les environnements, les États-Unis continuent à faire des essais souterrains «sous-critiques», pour apprendre comment créer des modèles d'armes nucléaires plus fiables et moins dégradables.
- Le Royaume-Uni a actuellement en production quatre sous-marins lance-missiles Trident pour remplacer ses Polaris. Chacun des sous-marins Trident possède une capacité destructrice 640 fois plus grande que celle de la bombe de Hiroshima.
- La France a deux programmes d'armes nucléaires en cours : le missile nucléaire stratégique M-5 lancé par sous-marin et une version plus puissante du missile nucléaire Air-Sol Moyenne Portée (ASMP).
- Les deux autres pays détenteurs reconnus d'armes nucléaires, la Russie et la Chine, continuent eux aussi de maintenir et de moderniser leurs forces nucléaires.
La position du Canada :
Plus de cinquante ans après l'avènement de l'ère nucléaire, le Canada maintient toujours une politique ambiguë à l'égard des armes nucléaires. Le gouvernement se refuse à acquérir ses propres armes nucléaires, s'oppose à la prolifération nucléaire et appuie, du moins en principe, l'abolition de toutes les armes nucléaires. Mais en revanche, il appuie la détention d'armes nucléaires chez ses alliés, participe à une alliance disposant d'armes nucléaires et «ne voit pas, dans l'immédiat, le besoin» de modifier «en aucune façon» la position ni la politique de l'OTAN». Le Canada est un des signataires non détenteurs d'armes nucléaires du Traité de non- prolifération, mais il continue de croire que la défense du pays dépend du «parapluie nucléaire» que les États-Unis et les autres alliés de l'OTAN ont déployé au-dessus de notre pays; il continue, de plus d'une façon, d'apporter à ces armes un appui à la fois physique et politique. Bref, tout en condamnant toute dépendance des armes nucléaires chez les pays non alliés, il continue de traiter ces mêmes armes comme un élément utile, voire nécessaire, de sa propre défense et de celle de ses alliés.
Entre autres formes de coopération nucléaire, le Canada :
- fournit de l'espace aérien et des installations pour l'entraînement aux bombardements nucléaires;
- accepte la visite de sous-marins à armement nucléaire;
- maintient des sites de communications pour forces nucléaires;
- a convenu de permettre le déploiement de bombardiers à armement nucléaire et de forces d'appui dans les aéroports canadiens en cas de crise nucléaire;
- produit et exporte des composants pour les véhicules de transport d'armes nucléaires tels que les bombardiers et les sous-marins;
- accorde son appui politique et diplomatique aux politiques des États-Unis et de l'OTAN.
Dans son énoncé de politique de 1995, Le Canada dans le monde, le gouvernement déclarait que «[la sécurité du Canada] est de plus en plus tributaire de la sécurité des autres. Les forces de la mondialisation, le développement technologique et l'ampleur de l'activité humaine accentuent plus que jamais notre interdépendance à l'égard du reste du monde… Comme l'a fait valoir le Comité mixte spécial, ‘ à long terme, nous jouirons tous d'une sécurité commune, d'une prospérité commune et d'un environnement sain, ou personne n'en jouira'». Ce n'est pas une sécurité, mais une insécurité partagée que procurent les armes nucléaires. Celles-ci ne sauraient exister indéfiniment sans servir un beau jour, dans un moment de désespoir ou de folie, ou encore par erreur de calcul ou par accident. En 1944, le Canada décidait de mettre un terme aux essais de missiles de croisière air-sol dans l'espace aérien canadien, mais il continue d'appuyer les armes nucléaires et d'en rechercher l'illusoire protection de plus d'une façon. Contrairement aux déclarations antérieures, l'actuel énoncé de politique de défense du Canada, le Livre blanc sur la défense de 1994, reste muet au sujet des armes nucléaires dans la défense du pays. Il n'en demeure pas moins évident que les armes nucléaires continuent de jouer un rôle dans la politique de défense du Canada et que sa position de partisan du désarmement nucléaire à l'Assemblée générale des Nations unies, à la Conférence sur le désarmement et dans d'autres forums s'en trouve compromise.
Le Canada dans le monde affirme que «les armes nucléaires nous menacent encore,» mais la «première priorité» d'action du Canada qu'on y formule consiste en la prolongation indéfinie du Traité de non- prolifération. Maintenant que ce but immédiat est atteint, le Canada devrait faire de l'abolition l'objectif central de sa politique en matière d'armes nucléaires et ajouter sa voix à celles des pays qui demandent d'entamer dès que possible des négociations en vue d'une nouvelle convention sur les armes nucléaires.
Bâtir notre avenir ensemble ( le deuxième «Livre rouge» du parti libéral) contient une promesse dramatique, quoique peu remarquée, qui pourrait annoncer une évolution en ce sens de la politique nucléaire : «Un gouvernement libéral réélu… ne ménagera aucun effort pour assurer la suppression des arsenaux nucléaires et chimiques et des mines antipersonnel dans le monde..» Le gouvernement a accompli un travail remarquable en matière d'élimination des armes chimiques et des mines antipersonnel; le temps est maintenant venu de traduire par des gestes son engagement à éliminer les armes nucléaires.
- Un programme d'action pour le Canada :
Le Canada devrait prendre les mesures suivantes à l'appui de l'objectif d'amorcer des négociations fermes en vue de l'élimination des armes nucléaires :
- Renoncer à tout rôle pour les armes nucléaires dans la politique de défense du Canada et inviter les autres pays, dont ses alliés de l'OTAN, à l'imiter;
- Réexaminer la licéité de toutes les activités du Canada relatives aux armes nucléaires, à la lumière de l'avis consultatif de la Cour internationale de justice du 8 juillet 1996, puis une fois cet exercice complété, s'empresser de mettre fin à toute activité dont la licéité serait mise en doute;
- Endosser publiquement les conclusions du rapport du 14 août de la Commission de Canberra, et plus particulièrement ses recommandations aux États détenteurs d'armes nucléaires de «s'engager sans équivoque à éliminer les armes nucléaires et de convenir d'entamer immédiatement les démarches pratiques et les négociations menant à cette fin», et aux États non dotés d'armes nucléaires d'appuyer cet engagement et de collaborer à sa réalisation;
- Presser tous les États de négocier, d'ici l'an 200, un accord en vue de l'élimination des armes nucléaires, selon un échéancier strict.
Notes
- Résolution 1 (1), Assemblée générale des Nations unies, 24 janvier 1946.
- Article VI, Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, 1er juillet 1968.
- Document final, première session spéciale des Nations-unies sur le désarmement, par. 47
- Boutros Boutros-Ghali, Nouvelles dimensions de la réglementation des armes et du désarmement dans le monde de l'après-guerre froide, 28 octobre 1992.
- Avis consultatif : Licéité de l'utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, Cour internationale de justice, 8 juillet 1996.
- Rapport de la Commission de Canberra sur l'élimination des armes nucléaires, août 1996.
- Communiqué de l'OTAN M-DPC/NPG-2(95)117, 29 novembre 1995.
- Le Canada dans le monde, Gouvernement du Canada, février 1995, pp. 10-11.
- Livre blanc sur la Défense, décembre 1994; à comparer avec, p. ex., Challenge and Commitment: A Defence Policy for Canada, 1987, pp. 17-19; Politique de défense du Canada, avril 1992, p. 6.
- Le Canada dans le monde, p. 32.
- Bâtir notre avenir ensemble, parti libéral du Canada, 1997, p. 98.