Critères d’évaluation pour les nouveaux mouvements ecclésiaux et associations

mardi le 05 septembre 2006

Introduction

Tout au long de l’histoire de l’Église, le Saint-Esprit a suscité des mouvements ecclésiaux et des associations dans l’Église comme moyens de propager la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Ces mouvements naissent habituellement grâce au charisme d’un fondateur ou d’une fondatrice et sa capacité de rassembler des personnes ; ce charisme engendre ensuite un renouveau dans la vie de l’Église. Grâce à la vitalité et la variété des charismes et des objectifs chrétiens qui les animent, les mouvements ecclésiaux et les associations sont  souvent le fruit de l’engagement de catholiques qui assument leur responsabilité chrétienne de se sanctifier et de sanctifier le monde. Comme le Saint-Père l’indique dans son Encyclique sur la mission Redemptoris Missio : « Lorsqu’ils s’insèrent avec humilité dans la vie des Églises locales et qu’ils sont accueillis cordialement par les évêques et les prêtres dans les structures diocésaines et paroissiales, les Mouvements représentent un véritable don de Dieu pour la nouvelle évangélisation et pour l’activité missionnaire proprement dite ».1

Les trente dernières années ont vu une croissance et une augmentation rapide des mouvements ecclésiaux dans l’Église. Le nombre, les noms et la variété de ces nouveaux mouvements peuvent parfois être déconcertants. Chaque mouvement, doté d’un charisme distinct, d’une approche particulière, de membres variés et d’un style de vie particulier, accomplit sa mission au sein de l’Église, et ce souvent avec une vitalité et un zèle rempli de l’Esprit. L’originalité de ces nouveaux mouvements, ou « communautés nouvelles » comme on les appelle parfois, « consiste souvent du fait qu’ils sont composés de groupes mixtes d’hommes et de femmes, de membres du clergé et de laïcs, de couples mariés et de célibataires, et tous poursuivent un mode particulier de vie ». Quoique chaque mouvement ou communauté nouvelle soit différent, ils participent tous à la même communion et partagent la même mission de l’Église. « Plusieurs fois », Jean-Paul II a-t-il dit, « j’ai eu l’occasion de souligner comment, dans l’Église, il n’y a pas de contraste ou de contradiction entre la dimension institutionnelle et la dimension charismatique dont les Mouvements sont une expression significative. Les deux sont co-essentiels à la constitution divine de l’Église fondée par Jésus, parce qu’elles concourent ensemble à rendre présents le mystère du Christ et son œuvre salvifique dans le monde. »3 Il est évident que de nos jours, les fidèles exercent leur droit fondamental d’association d’une façon sans précédent et il appartient à l’évêque d’encadrer et de coordonner les efforts de ces mouvements. 

Liberté d’association dans l’Église

Faisant suite au décret conciliaire Apostolicam Actuositatem de Vatican II sur l’apostolat des laïcs, qui présente les fondements du droit d’association des fidèles dans l’Église 4, le nouveau Code de droit canonique reconnaît formellement que le droit d’association est un droit propre qui appartient à tous les fidèles dans l’Église : 

Can. 215 Les fidèles ont la liberté de fonder et de diriger librement des associations ayant pour but la charité ou la piété, ou encore destinées à promouvoir la vocation chrétienne dans le monde, ainsi que de se réunir afin de poursuivre ensemble ces mêmes fins.

Le droit d’association est donc garanti et la création d’associations ne requiert aucune permission spéciale, tant pour son établissement que pour l’exercice des fonctions qu’on s’y donne. Dans l’Exhortation apostolique Christifideles Laici, il est dit que la formation de tels groupes « exprime la nature sociale de la personne » et qu’elle représente un « signe » de la communion et de l'unité de l'Église du Christ ».5 Le fondement de ce droit est donc anthropologique et ecclésiologique : l’ordre de la création est assumé et mené à sa perfection dans l’ordre de la rédemption. L’Exhortation apostolique continue en déclarant que la liberté du fidèle de créer et de diriger de tels mouvements ou groupes associatifs dans l’Église « … est à proprement parler un droit véritable, qui ne dérive pas d'une sorte de ‘concession’ de l'autorité, mais qui découle du Baptême, qui, en tant que sacrement, appelle les fidèles laïcs à participer activement à la communion et à la mission de l’Église. »6

Ceci signifie que les associations et mouvements ecclésiaux peuvent avoir une autonomie considérable, non seulement en ce qui a trait à leur vie spirituelle à l’intérieur du mouvement, mais également pour ce qui est de leurs activités ou leur apostolat à l’extérieur. En fait, ces mouvements et associations jouissent d’une plus grande liberté que les ordres religieux ou les sociétés apostoliques. Les associations dans l’Église sont soit publiques ou privées. Sont appelées publiques seulement les associations qui sont érigées canoniquement par l’autorité ecclésiastique compétente (Can. 301 ' 3). La plupart des associations dans l’Église sont privées, c’est-à-dire, constituées par convention privée et conclue entre les fidèles eux-mêmes (Can. 299 ' 1). Quelques-unes d’entre elles ont un statut de personnalité juridique, tandis que d’autres sont seulement reconnues par l’Église, une fois que leurs statuts ont été révisés. Il y en a d’autres qui sont des associations libres et qui n’ont pas de reconnaissance formelle. Cela ne veut pas dire qu’elles soient moins importantes ou qu’elles opèrent en marge de la loi ecclésiastique ; cela signifie tout simplement que l’association qui jouit d’un statut canonique explicite bénéficie d’une plus grande supervision de la part des autorités compétentes.

Qu’est-ce qu’un mouvement ecclésial ?

Quand on parle de nouveaux mouvements, associations ou communautés nouvelles dans l’Église, il est évident qu’il s’agit d’une réalité multiple qui ne peut pas être définie avec précision ou classifiée selon des catégories juridiques formelles. En traitant cette question, le nouveau Code de droit canonique n’emploie pas le terme « mouvement ecclésial » ou « communauté nouvelle », deux expressions assez récentes dans le vocable de l’Église ; il y est uniquement question d’« associations de fidèles » (Can. 298-329). D’où la possibilité de confusion en ce qui regarde la terminologie. Déjà, un avertissement à cet effet a été formulé dans l’étude intitulée Reconnaissance des associations catholiques à caractère national publiée par la CECC en 1993, où on attire l’attention sur le manque de précision  dans la définition des termes :

Ni le Code, ni l’exhortation « Christifideles laïci » ne donnent de définition précise du terme « association ». Dans son exhortation apostolique, Jean-Paul II s’en réfère au sens large pour l’appliquer à toute forme de regroupement : groupes, communautés, mouvements… Quant aux mouvements, il faut voir dans quelle mesure chacun revêt les caractéristiques communes aux associations de fidèles. Certains mouvements, comme leur appellation l’indique, sont en constante évolution, ils n’ont pas de statuts et leurs membres ne font souvent qu’y passer.7

Comment devons-nous alors comprendre la différence, si différence il y a, entre un mouvement, une association, une communauté, ou une fraternité, surtout lorsque ces termes sont employés dans un document du Magistère ? Canoniquement, et à toute fin pratique, ces quatre termes sont en fait interchangeables, « taillés dans la même étoffe » et pour ainsi dire synonymes, étant donné qu’ils cherchent à décrire les maintes façons dont les fidèles choisissent de s’associer dans l’Église. Cette nomenclature est due en partie au fait que les groupes ecclésiaux eux-mêmes se désignent et se nomment différemment, à savoir comme un « mouvement », d’autres une « communauté », une « fraternité » ou bien une « association » etc. On remarquera également que mouvements et communautés ne sont que de  différentes sortes d’associations et qui, du point de vue canonique, relèvent de la catégorie « associations des fidèles ». En pratique, toutes ces formes d’associations se réfèrent à la même réalité et au même phénomène associatif dans l’Église, à savoir : ces formes d’associations qui naissent dans l’Église, souvent de façon spontanée, fondées sur un charisme particulier qui se développe sous forme communautaire et qui apporte un renouveau de vie  au sein de l’Église locale.

Étant donné la grande diversité de ces associations publiques et privées, un des grands défis auquel l’évêque doit faire face consiste à coordonner leur apostolat et à les aider à s’intégrer davantage à la vie et aux structures de l’Église locale. Ce double défi fait émerger le cadre stratégique des paramètres ecclésiaux, qu’on nomme parfois « critères d’ecclésialité ».  L’Instrumentum Laboris de la Xème Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques a pressenti ce défi de façon suivante : « Dans les réponses aux Lineamenta, on indique, avec une insistance particulière, que certains mouvements ecclésiaux sont véritablement constructifs au niveau universel, diocésain et paroissial ; on fait allusion à d’autres qui, lorsqu’ils restent en marge de la vie paroissiale et diocésaine, n’aident aucunement l’Église locale à croître ; et on évoque d’autres encore qui, élevant des prétentions particulières, risquent de se soustraire à la communion entre tous ».8 D’où la nécessité d’évaluer l’ecclésialité de ces nombreux mouvements et communautés selon certains critères bien clairs et précis. Aujourd’hui comme par le passé, la question demeure : Comment intégrer adéquatement ces mouvements ecclésiaux dans la vie et les structures de l’Église aux niveaux diocésain et paroissial ? À quels critères de discernement les évêques et les fidèles peuvent-ils se référer pour évaluer et vérifier le juste rapport entre ces mouvements ecclésiaux et la communauté de foi de l’Église locale?

Critères pour le discernement des mouvements ecclésiaux et des associations

1.   Critère de responsabilité

Critère : Les mouvements ecclésiaux et associations ont le devoir de rendre compte de leurs activités à l’autorité ecclésiastique compétente.

Énoncé : Le signe d’une saine attitude responsable est d’être en mesure de rendre compte de ses initiatives et de ses activités à l’autorité compétente. L’évaluation de ce critère peut varier selon le cas et selon la nature du mouvement en question. On peut cependant s’attendre à ce que chaque mouvement ou association soit tenu de fournir un rapport périodique de ses initiatives, programmes et activités à l’Ordinaire ou à son représentant.

Cet élément est très important car la responsabilité de l’évêque ne se limite pas à la seule supervision en matière de foi et de morale. Il doit également coordonner les diverses œuvres d’apostolat dans son diocèse (Can. 394 § 1) et, tout en respectant l’autonomie des associations et des mouvements ecclésiaux, il doit s’assurer que l’exercice de leur apostolat « est ordonné au bien commun » (Can. 323 § 2). L’exercice du droit d’association n’est ni absolu ni illimité. Étant donné la nature ecclésiale de ce droit, les fidèles « doivent tenir compte du bien commun de l’Église » (Can. 223 § 1) et doivent accepter qu’« en considération du bien commun, il revient à l’autorité ecclésiastique de régler l’exercice des droits propres aux fidèles » (Can. 223 § 2). Le concile Vatican II est très explicite à ce sujet : « Il appartient à la hiérarchie de favoriser l’apostolat des laïcs, de lui donner principes et assistance spirituelle, d’ordonner son exercice au bien commun de l’Église et de veiller à ce que la doctrine et les dispositions fondamentales soient respectées ».9 

Recommandation : En plus de rapports officiels, il est fortement suggéré que des voies de communication soient établies pour qu’un dialogue continu et plus systématique puisse exister entre les leaders du mouvement et l’Ordinaire ou son représentant. Un tel dialogue favoriserait le partage d’information, l’encouragement réciproque et le soutien pastoral. Ceci résultera en une plus grande coordination des besoins et des ressources dans le diocèse. La vitalité des différents charismes de ces mouvements serait ainsi canalisée et permettrait aux mouvements d’être plus à l’écoute des besoins et d’être une ressource pour les services des programmes paroissiaux et diocésains. De tels échanges fourniraient non seulement l’occasion à l’évêque et aux membres du mouvement ecclésial de travailler plus étroitement ensemble, mais de là pourraient émerger des idées nouvelles et créatrices pour répondre aux besoins les plus pressants de l’Église aujourd’hui, tant au niveau paroissial qu’au niveau diocésain.

2.  Critère d’implantation

Critère : Le critère d’implantation stipule que chaque mouvement et association doit être enraciné et visiblement engagé dans la vie et les différents volets de la mission de la paroisse : la célébration, l’évangélisation, le service aux personnes, l’enseignement ou la participation aux activités.

Énoncé : Il a été démontré qu’un des dangers qui guette tout mouvement ecclésial ou association est le repli sur lui-même, ce qui entraîne un certain désengagement par rapport à la vie de l’Église locale. S’il n’est pas adéquatement intégré dans la vie et dans les structures de l’Église locale, le mouvement ecclésial peut facilement se voir ou être perçu comme flottant « au-dessus » ou « parallèlement » à l’Église locale, avec très peu de contact direct avec la vie et les programmes de la paroisse ou du diocèse. Puisqu’ils sont tous ecclésiaux a priori, ces mouvements doivent donc être « enracinés » ou « implantés » dans la vie, les activités et les structures de l’Église locale, particulièrement celles de la communauté paroissiale.

Recommandation : Il existe plusieurs modalités disponibles où les mouvements ecclésiaux peuvent s’enraciner au profit de la vie et la mission de l’Église locale ; mais la priorité doit cependant être donnée aux programmes qui existent déjà dans le diocèse et qui constituent le « noyau dur » de la communauté paroissiale. Il est extrêmement important que, malgré leur charisme et leur spiritualité distincte, les membres d’un mouvement ecclésial soient perçus (et qu’ils se perçoivent eux-mêmes) en premier lieu comme membres de l’Église. Ainsi solidement implantés et engagés dans la vie de la communauté paroissiale, le charisme et la richesse propres aux mouvements ecclésiaux pénétreront la foi et la vie de toute la communauté. Les paroisses en seront enrichies et stimulées grâce à un tel partenariat. Saint-Paul nous rappelle que nous avons besoin l’un de l’autre, tout comme chaque membre du corps a besoin des autres membres. « Si l’ensemble était un seul membre, où serait le corps ? Il y a donc plusieurs membres, mais un seul corps. »10 Le critère d’implantation assure le partage de ressources, de dons et de personnel ; il favorise la créativité et l’édification de la vie paroissiale pour que tous les fidèles puissent en bénéficier et faire l’expérience d’une plus grande manifestation du Saint-Esprit.

3.  Critère de doctrine authentique

Critère : Fidélité à la doctrine authentique de la foi.

Énoncé : « Examinez tout avec discernement : retenez ce qui est bon » (1Th 5, 21). Il n’est pas surprenant que l’évêque doive en premier lieu veiller sur les questions de doctrine et de spiritualité car ce qui contredit la doctrine de la foi ne vient pas du Saint-Esprit ; en effet, l’Esprit qui accorde ses dons est le même Esprit qui a inspiré les Écritures et qui continue d’aider le Magistère de l’Église dans l’interprétation authentique de l’Écriture. Dans son Exhortation apostolique Christifideles Laici, Jean-Paul II réitère ce critère de base pour l’évaluation des associations des fidèles laïcs dans l’Église :  « L’engagement à professer la foi catholique en accueillant et proclamant la vérité sur le Christ, sur l’Église et sur l’homme, en conformité avec l’enseignement de l’Église, qui l’interprète de façon authentique. Toute association de fidèles laïcs devra donc être un lieu d’annonce et de proposition de la foi et d’éducation à cette même foi dans son contenu intégral. »11 

Recommandation : Non seulement l’évêque doit-il surveiller la doctrine proclamée et diffusée par le mouvement, mais il doit également surveiller sa spiritualité et la façon dont ses membres vivent leurs rapports avec Dieu, l’Église et avec la société. Il appartient à l’évêque d’exercer ce discernement même si le mouvement n’est pas reconnu canoniquement en tant qu’association dans l’Église. Le but de cette vigilance est de préserver l’intégrité de la foi et des mœurs, et de veiller à ce  que « des abus ne se glissent pas dans la discipline ecclésiastique … » (Can. 305 ' 1). « L’Ordinaire du lieu peut donc intervenir, s’il y a lieu, non seulement lorsqu’une association diocésaine de fidèles a son siège dans son propre diocèse, mais lorsqu’une association de fidèles, diocésaine ou non, exerce son activité dans son diocèse tout en ayant son siège ailleurs. »12

4. Critère de complémentarité   

Critère : Le critère de complémentarité exige qu’un mouvement ecclésial doit avoir une connaissance et des contacts avec les autres mouvements ecclésiaux qui existent au sein de l’Église locale.

Énoncé : Étant donné qu’il peut exister plusieurs différents mouvements ecclésiaux dans un diocèse ou une paroisse, il est important de s’assurer qu’ils se reconnaissent et qu’ils apprécient la complémentarité de leurs dons et de leurs objectifs respectifs. Lorsqu’un mouvement ecclésial a peu de contact ou n’entretient pas de liens avec ses mouvements « frères », il peut très facilement développer, avec le temps, une certaine mentalité « élitiste » ou de « ghetto ». Lorsqu’un mouvement est complètement dissocié de la vie et des dons particuliers des autres mouvements qui existent dans le diocèse ou l’Église locale, son propre charisme ne pourra guère compléter ceux des autres. Le critère de complémentarité sert à empêcher les mouvements ecclésiaux de se replier sur eux-mêmes ou de se pencher trop exclusivement sur leur don ou charisme particulier, s’isolant ainsi des autres mouvements ecclésiaux. Il est important que ces mouvements prennent conscience de la complémentarité de leurs différents dons et charismes, de leur spiritualité et de leur programme d’activités respectifs. Cela implique plus qu’une simple estime mutuelle ou une familiarité superficielle avec les autres mouvements ecclésiaux qui existent dans le diocèse ou la paroisse ; il faut vraiment une volonté de travailler ensemble pour le bien de toute la communauté de foi.  

Recommandation : De même que les différentes congrégations religieuses qui travaillent dans une même région ou diocèse ont établi des liens plus serrés entre elles, et de fait, collaborent et entreprennent des projets conjoints - en allant même jusqu’à se donner une structure permanente, par ex., la Conférence religieuse canadienne  – ainsi les différents mouvements ecclésiaux doivent tisser des liens plus intimes entre eux et ce, pour le bien de la grande communauté de foi. De même qu’un rayon de lumière comporte toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, ce n’est qu’en combinant leur force et leurs talents que les mouvements ecclésiaux et associations rayonneront sur leur entourage. Le critère de complémentarité exige un effort concerté de la part de ces mouvements ecclésiaux pour se rassembler régulièrement  par exemple à l’occasion d’un forum annuel dans chaque diocèse ou paroisse. Ceci leur permettrait de reconnaître la complémentarité de leurs dons respectifs et de leurs ressources spirituelles. Les mouvements ecclésiaux doivent être encouragés à saisir toutes les occasions pour étudier, réfléchir et agir ensemble.

5.  Critère d’engagement social

Critère : Ce critère exige que chaque mouvement ecclésial soit présent dans la société humaine. Quels que soient leurs charismes, les mouvements et associations de fidèles doivent être des lieux exemplaires de participation et de solidarité pour créer des conditions plus justes et plus fraternelles dans la société.13

Énoncé : Depuis le Synode des évêques sur « La justice dans le monde » en 1971, qui a déclaré que la justice est une « dimension constitutive » de l’Évangile, le lien entre la justice et la spiritualité est devenu évident. Antérieurement, la perspective catholique de la justice isolait souvent la question des droits humains et des responsabilités de la spiritualité. Aujourd’hui, il appartient à chaque individu, groupe, et organisation dans l’Église de travailler pour la dignité de chaque personne, pour une plus grande équité dans la production et la distribution des ressources terrestres et pour créer des liens de solidarité entre riches et  pauvres. « La participation dans la lutte pour la liberté et la justice est de notre devoir à tous et à toutes ;  c’est un élément fondamental de la mission rédemptrice et libératrice de l’Église. »14 Avec cette nouvelle interprétation des signes des temps, il est inconcevable aujourd’hui qu’un mouvement ecclésial ou association dans l’Église puisse demeurer indifférent à la poursuite de la justice sociale comme élément intégral de sa spiritualité.

Recommandation : Plusieurs avenues sont disponibles aux mouvements ecclésiaux et aux associations pour lutter contre la souffrance des pauvres et des opprimés dans le monde, pour faire en sorte qu’il existe plus d’équité, de justice et de réconciliation dans notre  monde troublé. Mais avant de créer de nouveaux programmes, les mouvements et les associations doivent bien s’informer des programmes pour la justice sociale existant déjà dans leur paroisse ou dans leur diocèse. On les encouragera à apporter leur soutien et leur aide à ceux-ci en premier lieu. Les questions de justice sociale sont très complexes et en ce domaine surtout il est très important que l’Église « soit parlante » et se fasse entendre comme d’une seule voix. Une collaboration étroite doit également exister avec les organisations non-ecclésiales qui poursuivent ce même objectif. On encouragera les membres d’un mouvement ecclésial à réfléchir, dans la prière, sur le lien qui peut exister entre son charisme particulier et cette dimension importante de la mission de l’Église, et la manière dont ce charisme pourrait être engagé dans la lutte pour une société plus juste et plus humaine. Enracinés ainsi dans l’Église locale, les mouvements ecclésiaux seront toujours ouverts à la mission ad extra de l’Église aussi bien qu’à sa mission ad intra.

6.  Critère de l’appel à la sainteté

Critère : Ce critère stipule que chaque mouvement ecclésial doit être visiblement et résolument un instrument efficace de sainteté pour ses membres et une inspiration pour tous les fidèles.

Énoncé : Un autre danger pouvant assaillir un mouvement ecclésial peut survenir lorsque celui-ci se penche uniquement ou de façon trop exclusive sur son charisme particulier, comme si ce don définissait l’expérience intégrale de la foi et la totalité de l’Évangile. Lorsque le charisme d’un mouvement est perçu comme un absolu, ses membres peuvent percevoir leur manière de suivre Jésus-Christ, leur méthode de prière, et leur rapport avec Dieu comme étant l’unique forme légitime de sainteté chrétienne. L’appel à la sainteté représente évidemment l’impératif fondamental de tout chrétien et de toute chrétienne, quels que soient leur état ou leur rang : « Il est bien évident pour tous que l’appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de la charité s’adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur état ou leur rang » (Lumen Gentium 40). L’appel à la sainteté n’appartient pas seulement à quelques individus ou à un groupe particulier dans l’Église, elle est plutôt la vocation universelle de chaque chrétien et de chaque chrétienne. La priorité donnée à cette quête de sainteté constitue également l’un des critères authentiques de discernement pour les mouvements et les groupes de laïcs dans l’Église.

Recommandation : Il se peut que le critère de l’appel à la sainteté soit perçu comme étant trop général et variable, trop vague et intangible pour qu’il puisse servir de critère  d’authentification des mouvements ecclésiaux.  Certes, il existe plusieurs façons d’accéder à la sainteté ; il existe diverses traditions légitimes dans l’Église et plusieurs écoles de spiritualité. Cependant, il existe surtout un signe authentique et visible de la sainteté : l’amour de la charité. En fin de compte, chaque chrétien(ne) et chaque mouvement ecclésial est jugé – et sera toujours jugé – par l’amour. Paul VI a exprimé ceci très clairement lorsqu’il a affirmé que la charité est l’un des critères de base pour discerner les mouvements ecclésiaux.15 Il déclare que de tous les dons spirituels seul le don de l’amour (agapè) peut garantir non seulement l’octroie d’un don spirituel quelconque, mais la présence même du Saint-Esprit en Personne. Peu importe l’attrait que peuvent avoir les autres dons spirituels, il reste que c’est seulement l’amour de la charité qui rend les chrétiens parfaits et agréables à Dieu. Il est bon aussi de rappeler aux membres des mouvements ecclésiaux, ainsi qu’à tous les fidèles, que même si nos efforts humains pour atteindre la perfection chrétienne sont louables, en fin de compte, c’est Dieu et Dieu seul  qui nous sanctifie en communicant sa propre vie divine à ceux et celles qu’il aime. « Soyez saints, car je suis saint » (1 P 1, 16). 


1 Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptoris Missio, no. 72. 
2  Jean-Paul II, À l’Angelus le 23 août 1987.
3  Message aux participants et participantes du Rassemblement des mouvements ecclésiaux à Rome, La Documentation catholique, 5 juillet 1998, p. 622.
4  Concile Vatican II Apostolicam Actuositatem, no 18.
Exhortation apostolique Christifideles Laici, no. 29.
6 Ibid. Voir également R. Page, « Associations of the Faithful in the Church » dans The Jurist, 47 (1987), p. 165 ; Lluís Martínez Sistach, « La liberté d’association dans l’Église » dans Les Mouvements ecclésiaux dans la sollicitude pastorale des évêques, Pontificium Consilium pro Laicis, Cité du Vatican, 2000, pp.185-200.
7 Reconnaissance des associations catholiques à caractère national, CECC, Ottawa, 1993, p. 10.
8 Instrumentum Laboris, « L’Évêque, serviteur de l’Évangile de Jésus-Christ pour l’espérance du monde », no 99.
9 Concile Vatican II, Apostolicam Actuositatem, no 24.
10  I Cor 12, 19-20.
11   Jean-Paul II, Christifideles Laici, no 30.
12  Reconnaissance des associations catholiques à caractère national, CECC, Ottawa, 1993, p. 19.
13   Jean-Paul II, Christifideles Laici, no 30.
14  Les évêques catholiques des Etats-Unis, The Eucharist and the Hungers of the Human Family, 1975, no 12.
15 Allocution de Paul VI au Congrès international du renouveau charismatique catholique, 19 mai 1975, dans La Documentation catholique, 15 juin 1975, p. 563.