Le sacrement de la Réconciliation
jeudi le 28 février 2008Réflexion théologique et pastorale à l’intention des ministres du sacrement
Le sacrement de la Réconciliation. Réflexion théologique et pastorale à l’intention des ministres du sacrement, copyright © Concacan Inc., 2006.
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Le texte suivant, qui a été produit par la Commission de théologie de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), a été publié sous forme de brochure par le Service des éditions de la CECC. La brochure est disponible en grande quantité dans les versions française (#184-624) et anglaise (#184-625). Pour plus d’information, prière de consulter le site Web du Service des éditions: http://www.editionscecc.ca/
Le pape Benoît XVI a loué les évêques du Canada dans leur effort de valorisation du sacrement de la Réconciliation.1 Le Saint-Père a souligné que le péché est « en définitive l’affaiblissement de notre relation avec Dieu » et engendre, conséquemment, une perte de dignité humaine, de confusion morale, de désintégration sociale, de même que la division et la dispersion. La Commission épiscopale de théologie de la Conférence des évêques catholiques du Canada publie la présente réflexion théologique et pastorale sur le sacrement de la Réconciliation à l’intention des ministres du sacrement. Cette réflexion s’avère aussi une catéchèse utile pour tous les fidèles.
Introduction
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Ce document de réflexion théologique sur le sacrement de la Réconciliation s’adresse aux pasteurs qui accompagnent les fidèles dans leur cheminement de foi afin de les aider à redécouvrir et apprécier davantage ce sacrement. Le pape Jean-Paul II, dans son Exhortation post-synodale Reconciliatio et Pœnitentia, invitait l’Église à porter une attention spéciale et à redoubler de vigilance pastorale pour que ce grand sacrement de l’alliance soit remis en valeur, particulièrement pour concrétiser « la certitude que, par la volonté du Christ, le pardon est offert à chacun au moyen de l’absolution sacramentelle donnée par les ministres de la Pénitence ».2
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La discipline pénitentielle de l’Église a connu, au cours des siècles, une évolution remarquable. En effet, les modalités de la législation et de la pratique pénitentielles ont varié considérablement en raison des diverses situations où se sont retrouvées les communautés chrétiennes. On relève généralement trois grandes périodes dans cette évolution: l’élaboration et la codification d’un système pénitentiel public, du 1er au 6e siècle; la pénitence « tarifée » et la réforme carolingienne, du 6e au 12e siècle; et la confession individuelle, depuis le 13e siècle.
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Chacune de ces trois périodes historiques a été marquée par une préoccupation et une approche pastorale différentes. Dans la première période, alors qu’il n’y avait pas de pénitence sacramentelle privée telle que nous la connaissons, on insistait surtout sur l’exclusion publique de l’Eucharistie et le besoin d’une pénitence publique prolongée. Durant la deuxième période, lorsque la forme monastique de la pénitence a été ouverte aux laïcs, une plus grande importance a été accordée aux actes pénitentiels et à l’absolution individuelle. C’est au cours de cette période que le rôle du ministère de la réconciliation est passé d’une notion patristique de « medicus » (médecin, guérisseur) à celle de « judex » (juge). Enfin, lors de la troisième période, avec l’arrivée du Moyen Âge et de la formalisation de la pénitence comme un des sept sacrements, la théologie de la pénitence a été plus systématiquement développée et articulée, avec plus d’insistance sur la distinction entre matière et forme. À la suite du Concile Vatican II, l’Ordo Pœnitentiæ, l’exhortation apostolique qui a suivi le synode des évêques sur la Pénitence et la Réconciliation de même que le Motu Proprio Misericordia Dei ont mieux situé la Pénitence dans son cadre liturgique, théologique et pastoral.
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Il reste que, malgré ces diverses façons de célébrer le sacrement de la Réconciliation au cours des siècles, l’Église a toujours retenu dans sa foi la conviction de la nécessité d’un tel sacrement. L’Église a toujours considéré le sacrement de Réconciliation comme étant ancré dans le mystère pascal du Christ. C’est en ce sacrement, en effet, que la puissance rédemptrice du mystère pascal renouvelle l’Église. C’est par lui que les personnes qui se sont éloignées de l’Église sont restaurées à sa communion et redeviennent pleinement membres de l’assemblée eucharistique. L’Église a toujours considéré le sacrement de la Réconciliation comme une aide indispensable pour la transformation continue dans le Christ, essentielle à toute vie chrétienne.
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En ce temps où la fréquentation du sacrement de la Réconciliation a beaucoup diminué chez les fidèles, la Commission de théologie voudrait venir en aide aux ministres de ce sacrement. Destiné d’abord aux pasteurs, ce document de réflexion veut dégager les fondements théologiques ainsi que les implications pastorales de ce sacrement. Elle souhaite promouvoir ainsi une estime renouvelée de la valeur et de la beauté de ce sacrement. Ceci nous paraît d’autant plus opportun que nous vivons actuellement dans un monde fort troublé, un monde dans lequel le besoin de réconciliation se fait extrêmement criant dans de nombreux domaines. Le terme « réconciliation » est le plus utilisé aujourd’hui pour désigner le sacrement, bien que les termes « pénitence » et « confession » soient encore en usage; nous emploierons ici de préférence le premier terme. Notre attention se porte avant tout sur la première forme liturgique de la réconciliation, caractérisée par la réconciliation individuelle des pénitents. Toutefois, nos réflexions théologiques valent également pour les deux autres formes, tout en spécifiant que la troisième forme du Rite pénitentiel, l’absolution collective, est exceptionnelle et régie par des normes particulières.
Pourquoi un sacrement de la Réconciliation?
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La réconciliation s’accomplit d’abord de façon radicale au baptême. Le baptême est le signe sacramentel de notre pardon total en Jésus Christ et de notre appartenance à la communauté chrétienne. « Le premier sacrement pardonne tous nos péchés, il nous rachète du pouvoir des ténèbres et nous confère la dignité d’enfants adoptifs de Dieu » (Rituel de l’initiation chrétienne des adultes, prænotanda, no 2). Tout mouvement subséquent de pardon et de conversion est profondément enraciné dans le sacrement de baptême et en reçoit son sens.
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Le sacrement de la Réconciliation, tout comme le baptême, est l’œuvre et le sacrement du Saint-Esprit. Si l’Esprit Saint amorce le processus de notre appartenance à la communauté chrétienne lors du baptême et l’affermit dans la Confirmation, c’est ce même Esprit, dans le sacrement de Réconciliation, qui la maintient et la renouvelle. En fait, le Saint-Esprit est mentionné de façon explicite au moins vingt fois dans le nouveau rituel. Quand le prêtre étend les mains vers le pénitent pour lui donner l’absolution, il invoque le Saint-Esprit pour qu’il descende sur lui. Comme œuvre de l’Esprit Saint donc, ce sacrement ne doit pas être vu simplement comme une rémission des péchés; il est aussi une effusion de l’Esprit vivifiant qui produit chez le pénitent un pro-fond changement d’esprit et de cœur, au sens biblique de la metanoia. C’est le sacrement de Réconciliation qui restaure et renouvelle la vie d’un individu au sein de la communauté des croyants et du sacerdoce des fidèles.
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La contrition – ou le repentir – et la conversion sont des actes essentiels dans le processus qui nous conduit à la réconciliation. Ils ne sont pas des actes isolés mais un appel qui nous sollicite tout au long de notre cheminement dans la foi. Dans cette perspective, le sacrement de la Réconciliation porte en lui-même le sceau d’une authentique « croissance dans le Christ », et ce, parce que le Royaume de Dieu est toujours proche; déjà il se réalise dans la personne même de Jésus Christ. « Les temps sont accomplis, et le Royaume de Dieu est tout proche; repentez-vous et croyez à la Bonne Nouvelle » (Mc 1,15; Mt 4,17).
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De fait, la proclamation de la venue du Royaume de Dieu contient en elle-même un appel à la conversion. En répondant à l’appel de Jésus, les fidèles croissent constamment dans la grâce de leur baptême et donc dans la mort et la résurrection de Jésus Christ. Le cœur de l’enseignement de Jésus, avec ses demandes exigeantes en ce qui regarde le Royaume de Dieu, est un appel à la metanoia, même si le terme « conversion » n’est pas toujours employé. Cet appel à se convertir, à se laisser réconcilier s’adresse avec urgence à tous sans distinction. Le pape Paul VI, dont la définition de la conversion est incorporée dans l’Ordo Pœnitentiæ de 1973, la décrivait ainsi : « Nous ne pouvons avoir accès au Royaume du Christ que par ce qu’on appelle la ‘metanoia’, c’est-àdire le changement intime de l’homme tout entier, selon lequel il se met à apprécier, à juger et à régler sa vie en ayant égard à la sainteté et à l’amour de Dieu » (no 6).
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D’un point de vue chrétien, toute mention de péché ou même de sens du péché doit être vue dans le contexte de la nouvelle alliance, laquelle a été conclue et scellée dans le sang du Christ (Lc 22,20). Il s’agit de cette alliance irrévocable où Dieu proclame : « Ils seront mon peuple et moi, je serai leur Dieu » (Ap 21,3). La notion du péché ne peut donc être séparée de l’amour infini et miséricordieux de Dieu. On le voit souvent dans les Écritures et surtout dans la façon dont Jésus s’approche des pécheurs de son temps. Il leur offre toujours l’espoir et la possibilité d’être guéris et sauvés. Il n’a jamais voulu « briser le roseau froissé ou éteindre la mèche fumante » (Mt 12,20). Le péché assombrit les esprits, les cœurs et les vies d’une manière qui dépasse toute compréhension humaine. En fait, il ne révèle son visage insidieux et sa vraie nature que lorsqu’il est perçu à la lumière de l’amour infini de Dieu et de son divin pardon. C’est lorsqu’on prend vraiment conscience de l’amour de Dieu en tant que pardon et miséricorde que la vraie nature du péché nous est révélée.
Applications pastorales
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Si la confession individuelle des péchés personnels est vue et comprise dans ce contexte élargi d’un processus continu de conversion qui doit durer toute la vie, et comme une libération du péché, alors les fidèles seront moins portés à la considérer comme une pure formalité. Certes, les fidèles continueront à confesser leurs péchés graves, en nombre et en espèce, mais ils en viendront à voir leur confession comme un geste qui jaillit directement du dynamisme profond de leur baptême et de leur vocation chrétienne. Dans la célébration du sacrement de la Réconciliation, les pasteurs feraient bien de souligner ces aspects et éléments de manière à permettre aux pénitents de mieux saisir le lien vital entre ce sacrement et leur baptême.
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Les pénitents doivent aussi comprendre que la personne qu’ils rencontrent dans le rite pénitentiel est Jésus Christ lui-même, signifié par la rencontre avec le ministre du sacrement. Il accomplit, aujourd’hui, pour le pécheur les mêmes gestes de libération, de purification et de transformation qu’il a si souvent accomplis pour les malades et les pécheurs de son temps. On peut saisir, en effet, le véritable fondement de ce sacrement dans les gestes par lesquels le Christ a appelé les pécheurs à la conversion et les a restaurés dans l’amitié avec Dieu.
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Les trois formes du rite de l’Ordo Pœnitentiæ comportent la même structure fondamentale : a) un moment d’accueil mutuel; b) un temps de réflexion sur l’Écriture; c) la confession des péchés; d) une prière de contrition; e) l’absolution; f) une prière d’action de grâces pour conclure. Le ministre devrait accorder assez de temps à chaque pénitent afin que le sacrement soit perçu comme une véritable célébration, et non comme un exercice précipité et routinier. Il est également à noter que même dans la première forme du rite, la lecture des Écritures ne doit jamais être omise. L’élément nouveau dans le rite est la place donnée à la Sainte Écriture, qui nous invite à reconnaître notre condition de pécheur. Cet élément, en particulier, a besoin d’être mis en pratique. Le renouveau pastoral de la première forme du sacrement de Réconciliation tient à la redécouverte de l’importance de la Parole de Dieu dans la célébration.
Pourquoi la confession est-elle une affaire ‘personnelle’?
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Il y a de solides raisons théologiques pour que l’Église insiste sur la confession individuelle des péchés. Dieu appelle chacun et chacune de nous par son nom. Il n’y a pas dans le langage humain de mot aussi personnel et évocateur que le propre nom d’une personne. Quand quelqu’un nous appelle par notre nom, notre attention est immédiatement attirée par la présence de cette personne. Nous sommes ainsi invités à engager un dialogue direct avec cet autre. Mon nom exprime qui je suis; il me révèle aux autres et leur donne accès à mon être. Je n’existe vraiment que pour ceux et celles qui connaissent mon nom. Rien n’est plus personnel que le nom d’un individu.
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Dans le sacrement de la Réconciliation, Dieu nous appelle par notre nom, c’est-à-dire, pour une rencontre personnelle et intime. C’est comme si Dieu voulait nous prendre à part pour un instant, comme de bons amis le font souvent, et nous accorder sa pleine attention et son pardon. En un tel moment privilégié d’intimité, nous sommes appelés à nous tenir devant lui avec notre fragilité et dans toute la transparence de notre être. C’est alors, quand nous venons à lui dans le sacrement de la Réconciliation, avec nos péchés, notre repentir et notre confiance, que Dieu peut faire resplendir sur nous son visage et nous accorder sa grâce et sa paix, une paix que lui seul peut donner.
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Il y a deux raisons pour lesquelles il nous est demandé de dire ou de nommer nos péchés en confession. D’abord, le simple fait de dire nos péchés est une indication claire que nous en sommes les propriétaires, qu’ils sont vraiment nôtres et non ceux d’un autre. C’est quand nous les nommons que nous en prenons la responsabilité personnelle. D’autre part, l’obligation de dire nos péchés comporte déjà une grâce de libération. En mettant le doigt sur nos manquements, pour ainsi dire, en les appelant par leurs vrais noms, ils perdent déjà quelque chose de leur emprise sur nous. La confession des péchés n’est donc pas voulue comme une punition ou comme une humiliation, bien qu’elle demande de l’humilité. Au contraire, c’est un exercice de transparence où, avec notre coopération, le Saint-Esprit nous aide à suivre Jésus de plus près, à être témoin de celui qui a pris sur lui-même nos péchés, lui qui était sans péché (2 Cor 5,21).
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Il importe de se rappeler que Dieu nous offre son pardon, même avant que nous ne le demandions. Quand nous laissons notre quotidien pour aller célébrer le pardon du Seigneur, c’est lui qui prend l’initiative de cette réconciliation; elle vient de notre Père céleste par le Christ et le Saint-Esprit. Nous en sommes les bénéficiaires, non les artisans. Le pape Jean-Paul II nous le rappelait de façon très belle : « Nous ne nous serions jamais écartés de notre péché si Dieu ne nous avait pas déjà offert son pardon … Nous n’aurions jamais décidé de nous ouvrir au pardon si Dieu, moyennant l’Esprit que le Christ nous a donné, n’avait pas déjà opéré, en nous pécheurs, un début de changement d’existence : le désir et la volonté de conversion sont précisément cela ».3 Dans sa Lettre aux prêtres à l’occasion du Jeudi saint 2002, où il comparait la confession à la rencontre surprise de Jésus avec Zachée (Lc 19,5), le Pape écrivait: « Avant d’être un chemin de l’homme vers Dieu, la confession est une irruption de Dieu dans la maison d’un individu.»
Applications pastorales
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Une première conséquence de cette initiative gratuite de Dieu est que les pénitents ne doivent pas s’approcher du sacrement de la Réconciliation avec une appréhension indue. Ils devraient s’en approcher avec joie et gratitude. Il a été dit que la gratitude est le signe le plus infaillible de la présence de Dieu. Très justement, le pape Jean-Paul II a associé la célébration de la Réconciliation avec un cœur plein de gratitude : « La gratitude doit remplir notre cœur avant même que l’absolution de l’Église ne nous ait libérés de nos fautes ».4 Les pasteurs doivent donc encourager les fidèles à considérer ce sacrement comme une action de grâce authentique, une célébration de joie et d’immense espérance, et à faire le lien avec les paroles mêmes du Credo, où nous disons notre foi « en la rémission des péchés » et où nous professons notre foi en un Dieu vivant et miséricordieux.
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On ne doit pas omettre ici une deuxième application pastorale importante, à savoir, que nous sommes appelés à répondre de nos choix et de nos actes. De fait, lorsque nous faisons notre examen de conscience avant de recevoir le sacrement de la Réconciliation, nous nous préparons en quelque sorte à rendre des comptes. Nous faisons le point sur notre vie et nos responsabilités, comme l’a fait le fils prodigue quand il s’arrêta pour considérer la situation où il était tombé après avoir quitté la maison paternelle (Lc 15,1721). Vu ainsi, l’examen de conscience ne consiste pas simplement à se demander : « qu’ai-je fait de mal? », ou « quel bien ai-je omis de faire? » Examiner sa conscience ou faire ses comptes, c’est d’abord se rappeler, comme saint Paul, que nul d’entre nous ne vit pour soi-même comme nul ne meurt pour soi-même, et que si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur (voir Rm 14,7). En bon intendant du Seigneur, chacun de nous doit chercher « à faire ce qui convient à son prochain en vue d’un bien vraiment constructif » (Rm 15,2).5
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Troisièmement, comme ministres de la miséricorde, les pasteurs doivent être conscients que « dans la célébration de ce sacrement, plus encore peut-être que dans d’autres, il est important que les fidèles fassent une expérience vivante du visage du Christ Bon Pasteur ».6 En effet, l’un des modèles les plus anciens et les plus affectionnés du prêtre est bien celle du Bon Pasteur. Comme le pape Jean-Paul II le décrivait de façon si émouvante dans sa lettre aux prêtres à l’occasion du Jeudi saint 2002, « le ministre du pardon, incarnant pour le pénitent le visage du Bon Pasteur, doit dans une égale mesure exprimer la miséricorde prévenante et le pardon qui guérit et qui pacifie ».7
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La tradition catholique reconnaît aussi qu’une conscience insensibilisée est un danger qui menace et parfois assaille le croyant. La perte du sens du péché est l’une des façons les plus insidieuses par laquelle le mal s’empare d’un individu et même d’une communauté. Cette perte se manifeste, par exemple, quand on refuse de reconnaître le mal qu’on a fait. Trop facilement nous nous excusons en pensant que nos mauvaises actions sont le résultat des fautes commises par d’autres contre nous-mêmes et, qu’en fin de compte, ce n’est pas de notre propre faute qu’il s’agit. « Nous préférons nous considérer comme ‘blessés’, comme victimes du péché, plutôt que comme pécheurs ».8
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Il faut aussi noter une évolution dans la façon dont les catholiques en sont venus à percevoir et à interpréter le péché. Beaucoup aujourd’hui voient le péché moins comme une liste de différentes actions précises que comme des attitudes profondément ancrées au fond de leur être. Cela signifie que l’accent est mis sur des attitudes fondamentales qui définissent nos relations par rapport à Dieu et au prochain, par exemple en termes de séparation, d’aliénation et d’isolement. Alors que le péché est vu comme la perturbation ou la rupture de l’harmonie dans une relation, le péché révèle néanmoins son ignoble visage dans des gestes et actions concrètes et particulières. Il peut briser cette relation de façon définitive (péché grave) ou la blesser et ainsi l’appauvrir (péché véniel). Voici comment s’exprime le Catéchisme de l’Église catholique :« Le péché mortel détruit la charité dans le cœur d’une personne par une infraction grave à la loi de Dieu; il détourne la personne de Dieu, qui est sa fin ultime et sa béatitude en Lui préférant un bien inférieur. Le péché véniel laisse subsister la charité, même s’il l’offense et la blesse.»9
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« L’Église, qui comprend des pécheurs dans son propre sein, est à la fois sainte et appelée à se purifier, et poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement » (Deuxième document conciliaire de Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium, no 8). La tradition catholique a toujours considéré le péché comme une offense non seulement contre Dieu mais aussi contre la communauté chrétienne. Cela explique pourquoi le sacrement de la Réconciliation accomplit simultanément deux choses : il réconcilie en même temps avec le Peuple de Dieu, l’Église, et avec Dieu lui-même. La réconciliation avec Dieu se réalise par le fait de notre réconciliation avec l’Église, Peuple de Dieu. Le rapport de la Commission internationale de théologie sur « Pénitence et réconciliation » explique clairement ce point : « Ainsi, dans la pénitence sacramentelle, la réintégration dans la communion sacramentelle de l’Église est le signe de la communion renouvelée avec Dieu ».10 Nous trouvons ici, exposé en termes différents, l’enseignement constant des Pères de l’Église qui veut que la réconciliation avec Dieu soit authentifiée par la réconciliation avec le Peuple de Dieu.
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Dans le sacrement de la Réconciliation, le prêtre représente à la fois Dieu et la communauté et, par lui, le pénitent implore le pardon des deux. L’absolution du prêtre, toujours donnée au nom de l’Église, revêt tout son sens quand elle est perçue comme un acte ecclésial, c’est-à-dire comme une action accomplie par et au nom du Christ et de l’Église. C’est pourquoi le sacrement devrait être célébré autant que possible dans un cadre communautaire. Par exemple, même quand la première forme du rite est utilisée, il est préférable de désigner un moment bien déterminé pour que plusieurs pénitents puissent se réunir pour célébrer ce sacrement. Ou encore, il est bon que la communauté chrétienne, ou du moins qu’un certain nombre de fidèles soient présents pour symboliser cette réalité communautaire, comme on le fait souvent lors d’un baptême. Dans son décret promulguant le nouvel Ordo Pœnitentiæ, la Congrégation pour le culte divin a déclaré ceci : « Une célébration communautaire manifeste plus clairement la nature ecclésiale de la pénitence » (no 22; voir aussi le document conciliaire de Vatican II, Constitution sur la sainte Liturgie Sacrosanctum Concilium, no 27).
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De plus, on doit insister sur le fait que la confession personnelle des péchés n’est jamais un acte purement privé. Bien que le péché soit un acte humain individuel qui dit non à Dieu, son effet se fait sentir bien au-delà de la personne qui l’a commis. Elle concerne toute l’Église et chaque membre de l’Église. Jean-Paul II rappel-lait que la nature communautaire du sacrement est telle « que l’Église entière, qu’elle soit militante, souffrante ou dans la gloire du ciel, vient au secours du pénitent et l’accueille de nouveau dans son sein, d’autant plus que toute l’Église était offensée et blessée par son péché. »11
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On doit rappeler aux fidèles que le péché n’est jamais une affaire privée affectant le pécheur seul, mais qu’il a des répercussions nocives à longue portée dans l’Église et au-delà. Les grands saints et les mystiques étaient très conscients des graves conséquences du péché. Paul VI l’a aussi souligné : « Tout péché trouble, en effet, l’ordre universel établi par la sagesse ineffable et l’amour infini de Dieu, et il détruit des biens immenses, chez le pécheur lui-même et dans la communauté des hommes ».12 Si les fidèles comprenaient la nature du péché dans toute sa tragique ampleur, comme un mystère insondable et non seulement comme un élément d’une liste, on pourrait espérer que le sacrement revêtirait un nouveau sens à leurs yeux.
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Il s’ensuit aussi que, dans la mesure du possible, on devrait faire un plus grand usage de la seconde forme du rite (la célébration communautaire avec confession et absolution individuelles). Cette forme du rite possède tous les éléments nécessaires pour favoriser un « sens du péché » à la fois individuel et collectif. De façon plus claire que la première forme du rite (la réconciliation individuelle d’un pénitent), la seconde forme met en évidence la véritable dimension ecclésiale et communautaire de la réconciliation sacramentelle. Il est concevable que cette seconde forme, si elle était employée plus fréquemment, rejoindrait davantage la sensibilité religieuse des fidèles.
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Un autre point à signaler est le lien vital entre la pénitence sacramentelle d’une part, les œuvres de justice et de paix, d’autre part. Bien comprise, la pénitence est une invitation à s’engager de façon personnelle et active dans les œuvres de justice et de paix au cœur du monde. Seuls la guérison et le pardon de Jésus Christ peuvent répondre au mal, toujours présent parmi nous sous diverses formes d’injustice, d’oppression, de guerres qui semblent interminables. Les fidèles doivent en arriver à saisir les implications sociales du sacrement de la Réconciliation. Ils seront ainsi plus aptes à personnaliser leur compréhension du péché aux niveaux individuel et communautaire. Bref, ils seront mieux disposés à assumer une plus grande responsabilité sociale de leurs actions dans leur vie quotidienne. Cela marquera non seulement une victoire sur l’individualisme, mais permettra aux fidèles de devenir des témoins vivants de la réconciliation dans le monde troublé d’aujourd’hui.
Pourquoi ‘ritualiser‘ la pénitence et la réconciliation?
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Un rite bien accompli peut s’avérer très puissant : sa capacité de nourrir la vie des individus et des communautés ne peut être exagérée. Les rites existent dans toutes les cultures et toutes les religions. Ils constituent un moyen efficace et nécessaire pour exprimer ces valeurs profondes qui constituent l’identité d’un peuple. Sans leur participation à des activités rituelles et leur appropriation des valeurs qu’elles véhiculent, les gens perdent bientôt leur cohérence et leur stabilité communautaire; et les individus perdent leur sens d’appartenance et d’identité. Le rite, de par sa nature, permet à une communauté de maintenir et de développer son contact avec ses origines, de protéger sa raison d’être et de rester bien branchée sur ce qu’on appelle son « événement fondateur ». Pour les chrétiens, il ne s’agit de rien d’autre que la vie, la mort et la résurrection de Jésus Christ, c’est-àdire le Mystère pascal. L’action rituelle déployée dans le sacrement de la Réconciliation met le pénitent en relation directe avec l’événement-source et de ce fait avec le Christ-Sauveur, qui a appelé l’Église à naître et la maintient en vie.
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Les sacrements de l’Église ne s’appuient pas arbitrairement sur la nature humaine; ils correspondent, comme saint Thomas d’Aquin l’a bien signalé, aux besoins et aux étapes fondamentales de la vie humaine.13 De façon semblable, tous les rites et rituels expriment et correspondent à divers aspects importants de l’existence humaine. De plus, dans l’ordre sacramentel, le rite de la pénitence marque un important passage dans la vie du pénitent, une expérience de conversion, un « retournement », une « metanoia ». Tout dans ce rite veut mettre en valeur et sacraliser cet important moment de passage dans le cheminement de foi du pénitent.
Applications pastorales
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À notre époque moderne, les gens ont un sens réduit du rite et de la sacramentalité, même en ce qui concerne les rites et les symboles religieux de l’Église. Une des raisons pour lesquelles les fidèles se sont éloignés du sacrement de Réconciliation, c’est parce qu’on a souvent célébré ce sacrement de manière trop routinière et avec pauvreté de sens. Le défi des pasteurs aujourd’hui est d’en arriver à célébrer les rites de façon plus signifiante. Il faut exploiter davantage le riche contenu liturgique offert par le Rituel. Les gestes liturgiques doivent être simples mais éloquents. Les actions symboliques dans le rite devraient être clairement perçues par les fidèles comme évoquant le mystère, c’est-à-dire, quelque chose audelà de l’action externe elle-même. Un symbole a la capacité d’évoquer un mystère justement parce qu’il s’adresse à toute la personne, tant à son imagination, sa volonté, ses émotions qu’à son intelligence.
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Les fidèles doivent être amenés à comprendre que le rite de la pénitence est, à vrai dire, une imitation rituelle de la mort et de la résurrection de Jésus Christ, qui rend réelle, efficace et salvifique l’imitation du pénitent. C’est une imitation de mort et de résurrection, mais effectivement réalisée pour le pénitent grâce au « passage » même du Christ de la mort à la vie. Ainsi donc, comme pour tous les rites sacramentels de l’Église, celui de la pénitence est une reconstitution de la Pâque du Christ et une participation rituelle à son Mystère.
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Nous devons porter attention également au lieu ou à l’espace choisi pour la célébration individuelle du sacrement de la Réconciliation. Certains préfèrent encore le « confessionnal », mais d’autres options sont possibles, comme le salon de la réconciliation, ou encore, un endroit plus ouvert. De toute façon, l’endroit désigné pour célébrer ce sacrement doit être revêtu de toute la dignité qui convient à un lieu liturgique et sacré. Les ministres du sacrement de Réconciliation doivent également respecter le choix du lieu des pénitents pour se confesser, soit le confessionnal, le salon de réconciliation, ou un endroit encore plus ouvert. On ferait bien de se rappeler que Jésus a pardonné à ceux et celles qui se présentaient à lui à la vue de tous. Nous pouvons évoquer ici l’expérience émouvante de ces nombreux jeunes qui, durant la Journée mondiale de la Jeunesse de 2002, se sont confessés à ciel ouvert dans un parc de la ville. Leur exemple ne pourrait-il pas nous inspirer?
Conclusion
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La conclusion la plus importante de ces réflexions théologiques et pastorales est l’espérance que Jésus offre à tous les pécheurs. Pour les uns, le sacrement de la Réconciliation peut être l’occasion d’un pro-fond changement de vie, d’une conversion radicale. Pour d’autres, il marquera un pas de plus dans leur poursuite d’une vie plus intime avec Jésus. Que ce soit une réconciliation ou une purification, le sacrement est une source d’espérance et de grâce pour chacun et chacune dans l’Église.
Commission épiscopale de théologie
Conférence des évêques catholiques du Canada
Le 19 octobre 2006
1. Pape Benoît XVI, Discours aux évêques de l’Assemblée des évêques catholiques de l’Ouest du Canada lors de leur visite ad limina, le 9 octobre 2006.
2. Réconciliatio et pœnitentia, no 30.
3. Audience générale du 29 février 1984, dans l’Osservatore Romano, 3 mars 1984.
4. Ibid.
5. Cf. Kurt Stasiak, Sacramental Theology: Means of Grace, Way of Life (Chicago, Loyola Press, 2002), pp. 111-112. (Traduction de la CECC).
6. Lettre de Jean-Paul II aux prêtres à l’occasion du Jeudi Saint 2002, no 4.
7. Ibid., no 8. Voir aussi Richard Wallot, « Les défis de la miséricorde sacramentelle », dans Liturgie, Foi et Culture, 37, no 174 (été) 2003, pp. 13 – 21.
8. Irma Zaleski, Conversion of the Heart: The Way of Repentance (Toronto, Novalis, 2003), p. 30. (Traduction de la CECC).
9. Catéchisme de l’Église catholique, no 1855.
10. La Documentation catholique, 18 décembre 1983, p.1163.
11. Réconciliation et pénitence, 31, IV.
12. Paul VI, Constitution apostolique Indulgentiarum Doctrina, no 2, 1967.
13. Saint Thomas d’Aquin, Summa Theologica, III, p. 65.