Lettre pastorale sur la traite des personnes
mercredi le 27 janvier 2010Lettre pastorale sur la traite des personnes qui a été conçue dans le contexte de la préparation des Jeux olympiques qui auront lieu à Vancouver en 2010.
Commission épiscopale pour la justice et la paix
Conférence des évêques catholiques du Canada
De quoi s’agit-il?
Le Canada sera l’hôte des Jeux olympiques d’hiver en 2010. Nombreux sont ceux qui ont hâte de voir quelques-uns des meilleurs athlètes du monde se mesurer entre eux. Cet événement international suscite pourtant une vive inquiétude à Vancouver, ainsi qu’ailleurs, particulièrement dans les associations de lutte contre la traite des personnes, car quelques-uns y voient une occasion de faire du profit au détriment de la dignité et des droits de la personne.
En effet, à l’occasion de certains événements sportifs d’envergure, des structures sont souvent mises en place pour satisfaire la «demande» de divertissements sexuels. Cela risque d’être malheureusement le cas lors des Jeux olympiques d’hiver de Vancouver1.
Comme pasteurs de l’Église catholique du Canada, nous dénonçons la traite des personnes2 sous toutes ses formes, qu’elle soit organisée pour le travail forcé (travail domestique, travail agricole ou dans les usines) ou pour l’exploitation sexuelle (prostitution, pornographie, mariages forcés, bar de danseuses, etc.). Nous invitons les croyants et les croyantes à prendre conscience de cette violation des droits humains et de la banalisation du discours qui entoure la prostitution dans notre pays. À la suite de Jésus qui est venu dans le monde pour apporter la vie et la vie en abondance (Jn 10,10), nous pouvons ensemble compatir aux souffrances des victimes et changer des comportements et des mentalités qui entretiennent la violence institutionnalisée dans cette nouvelle forme d’esclavage qu’est la traite des personnes. Jésus ne proclame-t-il pas la libération des captifs comme signe de sa présence parmi nous? (Lc 4,18-19).
L’ampleur de la traite des personnes est alarmante. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des chiffres précis, l’Organisation internationale du travail (OIT) estime néanmoins à environ 2,4 millions le nombre de victimes de la traite3; de ce nombre, environ 1,3 millions de personnes sont impliquées dans diverses formes d’exploitation sexuelle4. Dans une autre étude, le Département d’État américain estime à environ 800 000 le nombre annuel de victimes de la traite mondiale, dont la plupart sont des femmes et des enfants5. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), la forme la plus répandue de la traite des personnes est l’exploitation sexuelle (79%)6. Cette activité du crime organisé rapporte des milliards de dollars aux proxénètes et aux propriétaires de bars de danse nue, de salons de massage, de bordels légaux et illégaux, sans compter les revenus de taxes imposées par les gouvernements, qui ferment souvent les yeux sur cette réalité.
Comment cela est-il possible?
Dans un contexte de mondialisation économique où les écarts de richesse s’agrandissent entre les pays, les populations pauvres du Sud et de l’Est demeurent vulnérables à la traite. Car leur désir de meilleures conditions de vie les poussent à franchir les frontières vers le Nord ou vers l’Ouest, pour y trouver un emploi. Quand la faim menace la vie de la famille, on est plus enclin à croire les promesses d’un passeur sans scrupule ou à céder aux attraits du tourisme sexuel. Aujourd’hui, la facilité de communication par Internet et le téléphone cellulaire favorise le recrutement des personnes qui se retrouvent quelques heures plus tard dans un autre pays, souvent sans connaître la langue, dépossédées de leur passeport, à la merci des proxénètes qui exigent le remboursement des frais encourus par le transport de leurs victimes. Les femmes et les enfants, la plupart du temps sous les effets des drogues, doivent alors se livrer à la prostitution sous l’oeil vigilant des proxénètes qui empochent les profits et qui, en cas de fuite ou d’insoumission, menacent de tuer leurs victimes ou les membres de leur famille demeurés dans le pays natal.
Au Canada, des femmes autochtones et des jeunes filles disparaissent de leur village sans qu’on les revoie; des immigrantes toujours de plus en plus jeunes sillonnent les rues des centres-villes ou travaillent dans les bars et les salons de massage; des escortes répondent à des appels grâce aux petites annonces des journaux. Plusieurs d’entre elles témoignent de leur vécu dans cet enfer avec le soutien d’organismes non gouvernementaux qui luttent contre la traite. Nombreux sont les témoignages qui associent les souffrances des victimes aux symptômes post-traumatiques que vivent les rescapés des guerres.
Que pouvons-nous faire?
Tout d’abord, prendre conscience de cette réalité présente chez nous comme ailleurs7 : la voir, l’analyser avec d’autres et agir dans notre milieu pour contrer la traite. Comme l’affirme l’auteur de la première lettre de Jean, «si quelqu’un voit son frère ou sa soeur dans le besoin et qu’il n’ouvre pas son coeur, comment l’amour de Dieu peut-il être avec lui?» (1 Jn 3,17). Prendre aussi conscience que la demande de prostitution alimente le marché de la traite. Sans les clients qui requièrent des services sexuels, il n’y aurait pas de prostitution, et donc pas de traite. Dans un pays qui considère l’égalité des femmes et des hommes comme une valeur fondamentale, dans un pays à grande majorité chrétienne qui promeut la dignité de toute personne créée à l’image de Dieu (Gn 1,27), comment tolérer la prostitution qui est une forme de violence institutionnalisée qui détruit l’intégrité physique, psychologique et spirituelle des personnes?
Plusieurs pistes de solution existent pour combattre ce problème : soutenir les organisations déjà engagées avec les victimes de la traite et demander à nos gouvernements un programme d’éducation et de prévention de la violence envers les femmes. Pour aider les femmes à sortir de la prostitution dont elles sont, en général, les principales victimes, il faut offrir des ressources en santé, de l’assistance psychologique, des cures de désintoxication, de l’hébergement sécuritaire, des emplois décents et de l’accompagnement spirituel.
Nos prières soutiendront aussi l’espérance de tant de personnes privées de liberté et d’humanité par la traite des personnes, et le courage des groupes qui les accompagnent. Car nous le croyons, nous sommes aujourd’hui les mains et les pieds du Christ ressuscité : Celui qui est passé de la mort à la vie nous montre la voie qui mène à la libération de ceux et celles qui sont pris dans les filets de la mort. Puissent notre foi et notre indignation susciter parmi nous des engagements individuels et collectifs en vue de la transfiguration de notre monde!
Le 26 janvier 2010
Membres de la Commission épiscopale pour la justice et la paix :
+ Brendan M. O’Brien, archevêque de Kingston, président de la Commission
+ François Lapierre, P.M.É., évêque de Saint-Hyacinthe
+ David Motiuk, évêque éparchial d’Edmonton
+ Valéry Vienneau, évêque de Bathurst
1 Voir l’intervention de la sénatrice Mobina Jaffer :
http://sen.parl.gc.ca/SenWeb/speeches/details.asp?lang=fr&sen=59&speechID=388. Voir aussi le premier rapport, datant de novembre 2007, du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des Communes sur la traite des femmes et des enfants lors des Jeux olympiques de 2010.
À cet égard, le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, a clairement exprimé devant le Comité permanent de la condition féminine son refus de permettre toute forme de légalisation de la prostitution (39e Législature, 2e session, 7 février 2008).
2 Selon l’article 3 de l’annexe II du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, « l’expression «traite des personnes» désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la
servitude ou le prélèvement d’organes ; » http://www.unodc.org/pdf/crime/a_res_55/res5525f.pdf
3 International Labour Organization (ILO), Combating Forced Labour: A Handbook for Employers and Business, 2008, p. 13.
4 U.S. Department, Trafficking in Person Report 2009 (June 2009), p. 8.
5 U.S. Department, Trafficking in Person Report 2007 (June 2007), p. 8.
6 UNODC, Global Report on Human Trafficking in Persons (2009), p. 6.
7 Voir plus d’information sous la rubrique « priorités » sur le site de la Conférence religieuse canadienne:
http://www.crc-canada.org/