Les bienheureux et les bienheureuses du Canada

Bienheureuse Élisabeth Turgeon (1840-1881)

Béatification, le 26 avril 2015, à Rimouski

 

 

 

 


Vie

Élisabeth Turgeon naît le 7 février 1840 à Beaumont, à quelques kilomètres de Lévis, sur la rive sud de Québec. Elle est la cinquième d’une famille de huit filles et deux garçons. Très douée, elle désire poursuivre ses études, mais, à quinze ans, la mort prématurée de son père l’oblige à mettre son projet en veilleuse. Elle demeure alors au foyer familial pour seconder sa mère dans l’éducation de ses quatre plus jeunes soeurs. Dès son jeune âge, Élisabeth fait déjà preuve de maturité dans la foi. À vingt ans, elle peut enfin fréquenter l’École Normale Laval de Québec pour se préparer à oeuvrer dans l’enseignement. Malgré des périodes de repos exigées par son état de santé, Élisabeth obtient brillamment son diplôme.
En 1863, elle prend la direction d’une école à Saint-Romuald-d’Etchemin, non loin de la demeure familiale. Elle connaît le succès, mais à deux reprises, elle voit la mort de près et doit même laisser l’enseignement pendant une année entière. À la fin de l’année scolaire 1871-1872, la maladie l’oblige à quitter définitivement ce poste. Une fois rétablie, Élisabeth Turgeon ouvre une classe privée à Saint-Roch de Québec, mais, là encore, elle ne peut tenir le coup. Elle se tourne alors avec confiance vers la « bonne sainte Anne » et promet d’enseigner gratuitement à Sainte-Anne-de-Beaupré, si elle obtient sa guérison. Alors qu’elle remplit cette promesse, l’abbé Jean Langevin, devenu évêque de Saint-Germain de Rimouski, lui demande d’y venir pour diriger la « petite société » d’institutrices qui était en voie de formation. À cause de sa santé précaire, Élisabeth ne peut donner une réponse positive. L’évêque Langevin revient à la charge et, à la troisième lettre insistante, Élisabeth Turgeon crut reconnaître la volonté de Dieu l’appelant à la vie religieuse.

Élisabeth arrive donc à Rimouski le 3 avril 1875. Quelques pieuses filles l’y avaient précédée, dont Louise Turgeon, sa soeur. À ce groupe, Mgr Langevin avait déjà donné le nom de Soeurs des Petites-Écoles*. Il confie à Élisabeth son projet de former de bonnes institutrices pour répondre au besoin pressant d’éducation chrétienne des enfants pauvres des campagnes. Le 12 septembre 1879, Élisabeth Turgeon et douze compagnes prononcent leurs voeux. Religieuse, elle voit le Christ comme l’Époux de son âme à qui elle ne peut rien refuser. Son ambition est de conformer sa vie à la volonté divine perçue dans les événements quotidiens, dans les décisions de l’autorité et dans les inspirations de l’Esprit. Nommée supérieure, Mère Marie Élisabeth (de son nom de religieuse) s’emploie à affermir la congrégation. Elle travaille à la mise au point de la législation : charte civile, constitutions, règlements pour la conduite des soeurs dans les missions et pour la tenue des écoles. Le 2 janvier 1880, elle fonde une première « mission », puis deux autres en septembre de la même année, dans des milieux éloignés et extrêmement pauvres qui faisaient partie à l’époque du diocèse de Rimouski. Il s’agit d’un geste audacieux de sa part, dans une grande confiance en Dieu. Elle ouvre ensuite, en la ville de Rimouski, une école indépendante où les novices s’initient à l’enseignement.

La charité unifie sa vie. Élisabeth Turgeon apprend à aimer en se laissant aimer. Elle aime toute personne, particulièrement ses soeurs. Pour elles, elle est pleine d’attentions et de bonté pour toutes, se préoccupant constamment de leur santé, leur procurant ce dont elles ont besoin. Son amour est fait de tendresse : l’une de ses compagnes a rappelé qu’elle excusait tout, souffrait de tout et de tous, sans « aigreur, sans animosité ». Sa santé physique n’étant pas à la hauteur de ce que réclame la vie d’institutrice, Élisabeth manifeste une force morale hors du commun; sa constante douceur et sa sérénité n’expriment nullement l’état habituel de ses souffrances. Il lui fallait communier profondément à la force de Dieu pour étudier et prier pendant le jour, travailler la nuit à la lueur de la chandelle pour tirer, de petits travaux manuels, l’indispensable à la survivance. Mère Marie Élisabeth surmonte patiemment et joyeusement la faim, le froid, la faiblesse corporelle et, à l’imitation de Jésus Christ, elle garde le silence devant les fausses accusations de certaines personnes.

La santé chancelante de la Servante de Dieu ne peut résister plus longtemps. Face à la mort, elle donne à ses soeurs le témoignage de son entière soumission au Seigneur qui lui adresse un ultime appel. Sur son lit de mourante, elle résume toutes ses exhortations dans le commandement de Jésus : « Mes Soeurs, je vous recommande particulièrement l’union, la charité fraternelle, quand on est uni dans une communauté, quand la paix règne parmi ses membres, c’est le ciel sur la terre. » Elle meurt dans la paix le 17 août 1881, à l’âge de 41 ans. À son décès, Mère Marie Élisabeth Turgeon laisse dans le deuil 14 professes, une novice et 2 postulantes.
Depuis 1881, 1 005 jeunes filles se sont engagées à la suite d’Élisabeth Turgeon. Aujourd’hui, les soeurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire sont présentes au Québec (Canada), aux États-Unis, au Honduras, au Guatemala et au Nicaragua.

Spiritualité

La spiritualité d’Élisabeth Turgeon est centrée sur la recherche et l’accomplissement de la volonté de Dieu : « Mon Dieu et mon Tout ! Tout pour votre saint Amour ! »1 La radicalité de cette option confère à ses paroles et à ses actes une cohérence exemplaire dans sa vie quotidienne. Dès qu’Élisabeth saisit, à travers ce qui lui arrive, l’expression de la volonté de Dieu, elle accepte, elle se soumet et elle agit. Une conviction profonde l’habite : la volonté de Dieu est toujours bienfaisante, même à travers les afflictions et les épreuves, « tout tourne au bien de ceux qui cherchent la volonté de Dieu », « la volonté de Dieu est puissance agissante pour celui ou celle qui y correspond ». Elle rappelle assidûment à ses filles spirituelles l’attention
à la volonté de Dieu; elle les invite à juger les décisions à prendre à la lumière de cette volonté : « Devant Dieu, considérez les choses; il vous inspirera ce que vous devez faire. » Elle parle de résignation, qui est pour elle l’expression d’un mouvement d’abandon de toute sa personne à la volonté de Dieu, abandon qu’elle a intensément vécu au quotidien. La qualité de son obéissance, particulièrement à l’égard de l’autorité diocésaine, témoigne qu’elle y reconnaît l’expression de la volonté de Dieu. Le jour de son inhumation, l’évêque dira d’Élisabeth : « Elle était si obéissante. »

Sa spiritualité est polarisée par une mission : l’instruction et l’éducation chrétiennes. Cette mission est essentiellement celle du Christ et de l’Église, mission de salut qui doit nécessairement passer par l’éducation et l’instruction des enfants pauvres des campagnes et être réalisée dans la vie religieuse. « Tâchez donc de devenir de bonnes et dignes religieuses et vous serez d’excellentes institutrices. » Une mission certes pénible, mais abordée avec « confiance, courage et persévérance dans la voie que nous avons embrassée; le repos vient après le travail, la victoire après le combat et la joie succède à la peine ». Elle compte sur Dieu pour la réalisation de la mission : « Il vous fortifiera, éclairera et donnera l’intelligence à ceux que vous êtes chargées de conduire à Dieu. »

Sa spiritualité est vécue dans la foi, la charité et l’espérance chrétiennes. Très tôt, Élisabeth Turgeon avait entendu l’invitation de Dieu, le Père, « le bon Dieu », d’entrer en communion avec Lui. Elle s’abandonne totalement à lui : « Jetons-nous dans les bras de la Divine Miséricorde qui ne veut rien que notre bénéfice spirituel. » Quand elle parle de Jésus, l’image qui lui revient le plus souvent est celle, biblique, de l’Époux mort et ressuscité pour notre salut. En s’adressant à ses soeurs, elle reprend presque toujours l’image traditionnelle de l’épouse aimante de l’Époux : « Dites à Jésus : pour être votre épouse à jamais, je dois vous suivre sur la route que vous avez parcourue. » Toute son ambition est de « savoir » Jésus, de l’aimer et de le faire connaître aux enfants. Le plus grand désir d’Élisabeth Turgeon était que le « beau ciel s’ouvrit » pour qu’elle puisse enfin voir Jésus. Elle encourage ses soeurs en disant : « Travaillons avec ardeur et constance pour mériter le séjour d’une demeure et d’une compagnie à nulle autre comparable. »

Élisabeth Turgeon est une grande suppliante, et son attachement à la prière est vital. Elle y recourt constamment et elle incite ses soeurs à prier et à faire prier les enfants pour elle. Elle compte inlassablement sur la prière pour obtenir subsistance, guérison, règlement d’affaires, conversion, grâces de toutes sortes pour elle-même et pour les autres. Elle sait d’expérience qu’« avec la protection de Jésus Christ, les toiles d’araignée sont plus fortes que les murailles et, sans sa protection, les plus fortes murailles ne sont que des toiles d’araignée ». Elle rend grâce à Dieu d’avoir été choisie pour une mission auprès des jeunes et elle prie pour que se réalisent la gloire de Dieu et le salut des âmes. Elle manifeste une grande confiance et une dévotion particulière pour Marie « cette bonne Mère », « notre véritable Mère », la « Reine des Vierges ». Elle écrira : « Invoquons Marie, elle saura nous protéger et nous défendre. » « Priez bien la sainte Vierge, qu’elle enseigne avec vous et pour vous, et vos élèves feront de grands progrès en science et en vertu. » Pour Élisabeth Turgeon, Marie est le chemin le plus sûr pour aller à Jésus. De là découle la devise de la Congrégation des Soeurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire : « Tout à Jésus par Marie ».

* En 1891, les Soeurs des Petites-Écoles prennent le nom de Soeurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire.

Les citations proviennent de ses Lettres écrites aux soeurs en mission (janvier 1880 à juin 1881) et du livret Sentences contenant des extraits de ses Lettres et des notes écrites dans son calepin.