Allocutions, discours et homélies 1984

Célébration eucharistique à l’Université Laval (homélie)

STADE DE L’UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
LE 9 SEPTEMBRE
INTRODUCTION A LA MESSE A QUÉBEC

Chers Frères et Sœurs, je vous remercie de cet accueil émouvant.

Je salue tout d’abord Monseigneur Louis-Albert Vachon, Archevêque de Québec, et chacun de mes autres Frères dans l’Épiscopat, exerçant leur ministère au Canada.

Je salue les représentants des autres Églises qui sont venus se joindre à nous d’Amérique et des divers continents, notamment de l’Europe avec laquelle le Canada a tissé des liens si forts.

Je salue les missionnaires canadiens et les représentants des jeunes Églises où ils exercent leur ministère.

Je salue le Recteur de l’Université Laval, les professeurs et étu­diants et tous ceux qui travaillent à renouveler et approfondir la culture pour la rendre toujours plus humaine, dans un dialogue confiant avec la foi.

Je salue les prêtres, les diacres, les séminaristes, les religieux, les religieuses et les laïcs des différentes paroisses de cet archidiocèse et des diocèses voisins, qui ont put venir ici grâce au jumelage fraternel des paroisses.

Je salue ceux pour lesquels Jésus avait une particulière sollicitude: les enfants, les jeunes, les vieillards, les malades, les prisonniers, tous ceux qui  souffrent d’être mal  aimés ou marginaux sans travail ou dans l’épreuve.

Ensemble, à la suite de l’Apôtre Pierre, tournons-nous vers le Seigneur Jésus. Qu’il fortifie notre foi!

HOMÉLIE

« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » (Mt 16, 16.)

Ces paroles ont été prononcées pour la première fois aux environs de Césarée de Philippe, en réponse à la question de Jésus : « Le Fils de l’homme, qui est-il d’après ce que disent les hommes ? » (Mt 16, 13.)

Ces paroles, c’est Simon-Pierre qui les a prononcées dans la terre de Galilée. Il les a prononcées par la suite en bien d’autres lieux. Il les a prononcées à Jérusalem, en particulier le jour de la Pentecôte. Il les a prononcées à Antioche, quand il a quitté Jérusalem. Il les a prononcées enfin à Rome jusqu’au jour où il dut subir la mort sur une croix pour rendre témoignage à la vérité de ces paroles.

Ces paroles — professant la filiation divine de Jésus-Christ — Simon-Pierre les a transmises en héritage à l’Église.  Il les a transmises d’une manière particulière à tous ses successeurs sur le siège épiscopal de Rome.

Comme l’évêque de Rome, successeur de Pierre, je désire prononcer ces mêmes paroles aujourd’hui sur la terre canadienne.

« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16, 16.)

Il est donné à l’Évêque de Rome de fouler pour la première fois cette terre, dans la ville de Québec. Ici, débuta l’évangélisation du Canada. Ici, l’Église fut fondée. Ce fut ici le premier diocèse de toute l’Amérique du Nord. Ici, par le grain semé en terre, commença une immense croissance.

C’est pourquoi je désire que, dès le début de ce pèlerinage, nous nous rencontrions et nous nous unissions dans cette profession de foi sur laquelle est bâtie l’Église du Christ sur la terre :

Le Christ, le Fils de l’homme, le Fils du Dieu vivant ;

Le Fils, de la même nature que le Père : Dieu, né de Dieu,

Lumière, née de la Lumière, engendré, non pas créé, Verbe éternel par qui tout a été créé ;

Et en même temps : le Christ, vrai homme.

« Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel, par l’Esprit-Saint, il a pris chair de la Vierge Marie ; et s’est fait homme. »

Le Christ : vrai Dieu et vrai homme. Telle est la foi de l’Église.

Le Christ : crucifié sous Ponce Pilate, il est mort et a été enseveli…

Le Christ : le troisième jour, il est ressuscité des morts, il est monté aux cieux, est assis à la droite du Père d’où il viendra pour juger les vivants et les morts.

Telle est la foi des apôtres. Telle est la foi de Pierre. Cette foi qui est la fondation sur laquelle est construite l’Église de Dieu sur la terre.

Simon-Pierre, qui professa cette foi le premier aux environs de Césarée de Philippe, fut aussi le premier à recevoir la réponse du Christ : « Tu es Céphas (c’est-à-dire Pierre), et sur cette pierre je bâtirai mon Église… » (Mt 16,18.)

Comme il est beau d’entendre le même apôtre Simon-Pierre, dans sa première lettre lue dans la liturgie d’au-jourd’hui, rendre témoignage au Christ en le désignant comme la pierre fondamentale.

Le Christ est « la pierre vivante » (1 P 2, 4).

Cette pierre, en vérité, « les hommes l’ont éliminée » (1 P 2, 4), rejetée radicalement, en allant jusqu’à condamner Jésus à la mort sur la croix et exécuter cette sentence quelques heures avant la Pâque.

C’est précisément dans ce rejet qu’il est reconnu pour ce qu’il est : Jésus, le Christ, celui « que Dieu a choisi parce qu’il en connaît la valeur » (1 P 2, 4).

C’est par lui, pierre vivante, première pierre, que nous sommes tous intégrés dans la construction d’un « Temple spirituel » (1 P 2, 5).

Oui, nous tous : « Comme pierres vivantes », nous sommes intégrés à la construction qui a pour fondation le Christ pour édifier « un sacerdoce saint, présentant des offrandes spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus » (1 P 2, 5).

Nous sommes donc « la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui appartient à Dieu » (1 P 2, 9), et cela par Jésus-Christ qui est le Fils du Dieu vivant, qui est vrai Dieu et vrai homme, crucifié et ressuscité. Oui, par Jésus-Christ : il est la première pierre de l’édifice divin, bâti avec les fils et les filles de toute la Terre, qui se dressera pour l’éternité dans la gloire indicible de la très Sainte Trinité !

À partir de Jésus, le Christ, qui est la pierre vivante s’ouvre cet avenir ultime de notre construction… Tel est l’avenir de l’homme sur la terre. L’avenir d’une destinée divine.

Voici donc la foi en Jésus-Christ, que Simon-Pierre proclamait!  Voici la foi concernant l’Église que Simon-Pierre proclamait !  Quelle surprenante unité ! Et quelle force dans cette foi . Aujourd’hui l’Évêque de Rome, venu en terre canadienne, désire professer cette foi de tout son cœur. Il désire en faire le fondement de toute sa mission parmi  vous, frères et sœurs bien-aimés, dans cette ville de Québec et sur toute la terre canadienne que je vais ensuite visiter en chacune de ses régions.

Car nous sommes ici au premier foyer de l’Église du Christ en Amérique du Nord. Partis de France, les Jacques Cartier, les Champlain et tant d’autres, en apportant sur ce continent leur culture et leur langue, contribuaient à im-planter la foi au Christ Sauveur.

De nombreux serviteurs et servantes de Dieu sont venus, dès le début de la colonisation, pour construire l’édifice de l’Église sur votre terre. Les Pères Récollets, les Jésuites, les Sulpiciens, les Ursulines, avec Marie de l’Incarnation rayonnant son incomparable expérience spirituelle, les Hospitalières de Dieppe entraînées par l’inépuisable charité de Catherine de Saint-Augustin : ces religieux et ces religieuses ont été parmi les premiers à témoigner de la foi et de l’amour du Christ au milieu des colons et des « Indiens ». Porteurs de la Parole, éducateurs des jeunes, bons samaritains auprès des malades, ils ont façonné le visage de l’Église dans ce nouveau pays. On a pu parler d’une véritable « épopée mystique » dès la première moitié du XVII e siècle. Certains ont donné leur vie jusqu’au martyre. Beaucoup d’autres les ont rejoints, apportant leur pierre vivante à la construction, souvent dans la pauvreté, mais rendus forts par l’Esprit de Dieu.

En ce lieu, nous évoquons en particulier François de Montmorency-Laval, vicaire apostolique, puis premier évêque du Québec. Je ne puis oublier que le séminaire qui porte son nom est à l’origine de l’Université qui nous accueille en ce moment dans ce site admirable.

Vos ancêtres ont forgé ici une culture en puisant aux sources de leur pays d’origine. Au long des siècles cet héritage s’est enraciné, diversifié ; il a accueilli l’apport propre des Amérindiens, et tiré profit de la présence anglaise en ce continent. Il s’est enrichi grâce aux vagues successives d’immigrants venues de partout. Votre peuple a su conserver son identité en demeurant ouvert aux autres cultures.

L’Église a reconnu ou se prépare à reconnaître la sainteté d’un certain nombre de ces pionniers. Ils sont des témoins éclatants parmi beaucoup d’hommes et de femmes, humbles croyants de la vie quotidienne, qui ont façonné peu à peu cette terre à leur image, selon leur foi.

La vitalité et le zèle de vos devanciers les ont d’ailleurs entraînés à porter plus loin la Bonne Nouvelle : je salue ici une Église qui a su rapidement rayonner dans l’Ouest canadien, le Grand Nord et en bien des régions d’Amérique. Bien plus, elle a pris une grande part à l’effort missionnaire de l’Église universelle à travers le monde.

Votre devise est : « Je me souviens. » Il y a vraiment des trésors dans la mémoire de l’Église comme dans la mémoire d’un peuple !

Mais à chaque géneration, la mémoire vivante permet de reconnaître la présence du Christ, qui nous interroge comme aux environs de Césarée : « Vous, qui dites-vous que je suis ? »

La réponse à cette question est capitale pour l’avenir de l’Église au Canada, et aussi pour l’avenir de votre culture.

Vous constatez que la culture traditionnelle — caractérisant une certaine « chrétienté » — a éclaté : elle s’est ouverte à un pluralisme de courants de pensée et doit répondre à de multiples questions nouvelles ; les sciences, les  techniques et les arts prennent une importance croissante ; les valeurs matérielles sont omniprésentes ; mais aussi une sensibilité plus grande apparaît pour promouvoir les droits de l’homme, la paix, la justice, l’égalité, le partage, la liberté…

Dans cette société en mutation, votre foi, chers frères et sœurs, devra apprendre à se dire et à se vivre. Je le disais à vos évêques en octobre dernier : « Ce temps est le temps de Dieu qui ne peut manquer de susciter ce dont a besoin son Église lorsqu’elle reste disponible, courageuse et priante. » Vous saurez vous souvenir de votre passé, de l’audace et de la fidélité de vos prédécesseurs, pour porter à votre tour le message évangélique au cœur de situations originales. Vous saurez susciter une nouvelle culture, intégrer la modernité de l’Amérique sans renier sa profonde humanité qui venait sans aucun doute de ce que votre culture a été nourrie par le christianisme. N’acceptez pas le divorce entre la foi et la culture. À présent, c’est à une nouvelle démarche missionnaire que vous êtes appelés.

La culture — et de même l’éducation qui est la tâche première et essentielle de la culture — est la recherche fon-damentale du beau, du vrai, du bien, qui exprime au mieux l’homme, comme « le sujet porteur de la transcendance de la personne » (cf. mon discours à l’UNESCO, 2 juin 1980, n° 10), qui l’aide à devenir ce qu’il doit « être » et pas seu-lement à se prévaloir de ce qu’il « a » ou de ce qu’il « possède  ». Votre culture est non seulement le reflet de ce que vous êtes, mais le creuset de ce que vous deviendrez. Vous développerez donc votre culture d’une façon vivante et dynamique dans l’espérance, sans peur des questions difficiles ou des défis nouveaux ; sans pour autant vous laisser abuser par l’éclat de la nouveauté et sans laisser s’installer un vide, une discontinuite entre le passé et l’avenir ; autrement dit, avec discernement et prudence, et avec le courage de la liberté critique à l’égard de ce qu’on pourrait appeler « l’industrie culturelle » ; surtout avec le plus grand souci de la vérité.

Mais en m’adressant moi-même ici aux croyants, je répète à nouveau ce que j’ai déclaré à l’UNESCO : « Je pense surtout au lien fondamental de l’Évangile, c’est-à-dire du message du Christ et de l’Église, avec l’homme dans son humanité même » (n° 10). Oui, chers frères et sœurs, dans la culture qui est toujours l’âme d’une nation (cf. ibid. n° 14), la foi joue une grande part. La foi illuminera la culture, elle lui donnera sa saveur, la rehaussera, comme le dit l’Évangile à propos de cette « lumière », de ce « sel », de ce « levain » que les disciples de Jésus sont appelés à être. La foi demandera à la culture quelles valeurs elle promeut, quelle destinée elle offre à la vie, quelle place elle fait au pauvre et au déshérité avec qui le Fils de l’Homme est identifié, comment elle conçoit le partage, le pardon et l’amour. S’il en est ainsi, l’Église continuera à travers vous à accomplir sa mission. Et vous rendrez service à la societé tout entière, même aux hommes et aux femmes qui ne partagent pas la même expérience spirituelle que vous. Car un tel témoignage respecte la liberté des consciences, sans pour cela les abandonner à certains « impératifs » de la civilisation moderne qui prétendent servir le progrès humain mais qui en fait dérogent au respect de la vie, à la dignité de l’amour qui enveloppe les personnes, à la recherche des vraies valeurs de l’humanité (cf. Discours à l’Unesco, n° 13).

Mais encore votre foi doit demeurer active et forte ; elle doit devenir toujours plus  personnelle, de plus en plus enracinée dans la prière et dans l’expérience des sacrements, elle doit atteindre le Dieu vivant en son Fils Jésus-Christ le Sauveur, avec l’aide de l’Esprit-Saint, dans l’Église. Telle est la foi que vous devez approfondir avec joie, de manière à la vivre et à lui rendre témoignage dans la vie de chaque jour et dans les nouveaux royaumes de la culture. Telle est, en effet, la grâce que nous devons demander pour l’avenir du Québec, pour l’avenir de tout le Canada. Et ici nous sommes revenus à la question fondamentale de Jésus-Christ : « Et toi, qui dis-tu que je suis ? »

Dans la foi que Simon-Pierre a affirmée aux environs de Césarée de Philippe, dans la foi qu’il a exprimée d’une manière si belle par sa première lettre, dans cette même foi, moi, Jean-Paul II, l’Évêque de Rome, je désire vous saluer cordialement au commencement de mon pèlerinage sur votre terre.

Je désire vous saluer tous.

Vous qui êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le Peuple qui appartient à Dieu.

Vous qui avez été appelés en Jésus-Christ pour « annoncer les merveilles de Celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (1 P 2, 9).

Vous qui avez été appelés en Jésus Christ pour « annoncer les merveil­les de celui qui vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière » (1P, 2,9).

Nous inaugurons aujourd’hui une fête destinée à avoir un grand reten­tissement dans vos cœurs.

L’Église met sur nos lèvres le chant qui convient:

« Chantez au Seigneur en bénissant son nom!

De jour en jour, proclamez son salut,

racontez sa gloire aux nations

et ses merveilles à tous les peuples! » (PS 95/96, 2-3).

Que chante au Seigneur la terre canadienne

des rivages de l’Atlantique aux rivages du Pacifique,

et du sud aux terres glacées du Nord…

Voici que le Christ, le Fils du Dieu vivant, est devenu la première

pierre parmi vous!

Voici que le Christ, le Fils du Dieu vivant, est devenu la pierre

vivante pour toutes les générations!

Gloria Tibi, Trinitas!

Gloire à Toi, Trinité Sainte! »

Amen.

Conférence des évêques catholiques du Canada
Canadian Conference of Catholic Bishops