Lettre au Premier ministre, Jean Chrétien, concernant la pratique par le médecin traitant de l'aide au suicide chez les malades en phase terminale.

jeudi le 10 octobre 1996


Le Très Honorable Jean Chrétien
Premier ministre
Gouvernement du Canada
Ottawa, ON
K1A 0A6

Monsieur le Premier ministre,

Nous avons été profondément troublés d’apprendre que le Parti libéral du Canada avait reconnu, dans un énoncé politique officiel, la pratique par le médecin traitant de l’aide au suicide chez les malades en phase terminale.

Comme pasteurs d’une Église qui a contribué de façon significative à l’instauration des soins de santé dans ce pays et à l’élaboration d’une justice sociale, nous réitérons notre opposition à tout changement législatif qui ouvrirait la porte à la pratique de l’euthanasie et de l’aide suicide. Les principes sous-tendant notre position sont appuyés sur les fondements de notre foi chrétienne qui reconnaissent la valeur intrinsèque de la vie humaine et sa nature relationnelle ainsi que sur l’importance de l’appartenance communautaire.

Dans la politique que votre récent congrès approuvait, vous avez présumé nous semble-t-il, qu’il suffisait de déclarations énoncées clairement, d’avocats et de médecins engagés, pour sauvegarder les intérêts des personnes les plus vulnérables. Mais cependant, l’interprétation la plus prudente de l’expérience des Pays-Bas, nous convainc de l’impossibilité de prévenir les abus par voie de réglementation.

Les autres préoccupations de la CÉCC quant à la légitimation de l’aide au suicide sont:

  • La diminution du sens du respect de la vie humaine et l’érosion de la confiance première, essentielle à toute société, à savoir que la vie humaine soit toujours protégée.
  • Les pressions exercées sur les personnes fragiles, les pauvres et les aînés pourraient s’accentuer dans la mesure où décroissent les ressources disponibles.
  • La confiance implicite entre le médecin et son patient serait irrémédiablement atteinte.
  • Le prolongement inévitable de la loi pour le malade en phase terminale, à ceux et celles qui souffrent pour différentes raisons ou qui sont considérés comme « indésirables » ou encore comme une « charge onéreuse ».

Cette nouvelle politique du Parti libéral est des plus surprenante puisque la première recommandation du Comité sénatorial sur l’euthanasie et l’aide au suicide proposait que les gouvernements accordent une grande priorité aux programmes de soins palliatifs dans la restructuration du système de santé.

Les soins palliatifs représentent la réponse aux besoins les plus profonds des personnes sur les plans physique, social, affectif et spirituel. C’est une excellente façon d’affirmer avec vigueur, la valeur de la vie et de la dignité de la personne mourante. La Conférence des évêques catholiques du Canada renouvelle sa requête, à savoir que les gouvernements et les professionnels des soins de santé appuient la recommandation du Comité sénatorial en investissant davantage dans la formation, le financement et l’accès aux soins palliatifs.

Bien que nous croyions que les personnes, ayant appuyé cette politique lors de votre congrès, aient tenté de répondre à des situations tragiques de cas isolés, ces drames exceptionnels ne peuvent fonder à eux seuls, l’élaboration d’une politique qui comprend de nombreuses et graves implications. La souffrance dans toutes ses dimensions physique, affective, sociale et spirituelle remet en question les fondements mêmes de la vie humaine et de la société. Ne pouvons-nous affronter ces situations avec plus de compassion et de sollicitude qu’en mettant fin à la vie du patient?

Nous observons, à partir des informations dans les médias, que vous avez indiqué que cette nouvelle politique n’est pas présentement dans les priorités de votre gouvernement. Bien que nous soyons encouragés par ces renseignements, nous surveillerons avec vigilance l’évolution de la question. Nous sommes profondément inquiets des conséquences de cette politique sur la vie des individus, sur la qualité des relations entre les personnes et sur le sens moral de notre société.

Recevez, Monsieur le Premier ministre, mes salutations respectueuses.

† Francis J. Spence
Archevêque de Kingston
Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada

c.c. L’hon. Allan Rock, ministre de la Justice
M. le sénateur Dan Hays, président du Parti libéral


Source : Sylvain Salvas
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