Des changements majeurs inquiétants
Dans notre pays, on prend douloureusement conscience des inquiétudes actuelles, que ce soit en écoutant le bulletin de nouvelles ou encore en rencontrant des voisins ou des amis dont les conditions de vie deviennent de plus en plus difficiles ou encore en partageant avec des jeunes dont les aspirations sont constamment brisées. Ces coups durs provoquent une crise de confiance et d’espérance: quel sera notre avenir collectif? quel monde préparons-nous pour les générations qui viennent? Face à tous ces nouveaux défis, les chrétiens et les chrétiennes se doivent de répondre à cette interpellante question: « Qu’est-ce que le Seigneur exige de nous aujourd’hui? »
Un défi moral
Nous sommes confrontés à un défi moral considérable. Aux situations pénibles que nous venons d’évoquer au plan social et humain, certains leaders ne voient qu’une réponse: une reddition pure et simple devant la loi impitoyable et implacable du marché. « Le Canada, disent-ils, doit être plus concurrentiel; il doit surtout conserver la confiance des marchés de capitaux étrangers. » Ces leaders économiques et politiques nous répètent sans cesse que nous devons avaler cette pilule, aussi amère soit-elle. Le Canada, insistent-ils, ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens! Et ils établissent alors leurs programmes et leurs priorités en limitant uniquement leurs consultations auprès des gens qui partagent cette vision étriquée de notre monde. L’attitude de fond qui sous-tend cette vision peut se résumer ainsi: « Nous, nous savons ce qui est le mieux pour vous! » Certains leaders ont même demandé à des communautés chrétiennes de s’en tenir aux affaires strictement spirituelles. Malgré ces remarques indues, un tel paternalisme ne peut pas nous dispenser de notre responsabilité morale collective.
Des paradoxes troublants
Les principes économiques conventionnels actuels n’offrent plus aujourd’hui des réponses satisfaisantes à nos attentes relatives à notre avenir commun. Au contraire ils nous placent devant des paradoxes moraux des plus troublants. La productivité a augmenté mais de plus en plus de gens sont incapables de trouver un emploi à temps plein. A la suite de la récession économique les profits ont recommencé à grimper mais les salaires ont chuté. Le nombre absolu des emplois a augmenté mais les emplois à temps plein ont diminué. Un nombre imposant de personnes doivent occuper plus d’un emploi à temps partiel afin de joindre les deux bouts. Et plus inquiétant encore, le revenu familial réel en 1994 était 4,6% inférieur à celui de 1989. Au dire de la Banque Mondiale, le Canada est le deuxième pays le plus riche au monde, et pourtant le nombre d’enfants pauvres a augmenté chez nous de 55% depuis 1989. Alors que la libéralisation des marchés mondiaux devait entraîner une plus grande prospérité, les écarts ne cessent de se creuser entre les Canadiens. Alors que nos programmes sociaux avaient permis jusqu’à maintenant de maintenir une certaine égalité entre les citoyens, voici qu’on cherche à nous convaincre que pour préserver aujourd’hui les soins de santé, l’aide sociale et le système scolaire, le seul moyen consiste à les démanteler! Et l’on pourrait continuer à énumérer une multitude d’autres paradoxes semblables que continuent de nous servir certains leaders économiques.
Choix de communauté
Les solutions économiques actuellement mises de l’avant n’offrent vraiment plus des réponses au désir profond de nos concitoyens et nos concitoyennes d’améliorer leur qualité de vie, celle de leurs famille et celle de leur communauté. Un tel échec soulève des questions encore plus fondamentales sur le plan moral, notamment sur l’organisation et la qualité de notre vie communautaire. Ces lignes de conduite économique confinent des communautés entières à la résignation et à un fatalisme qui va à l’encontre de la volonté du Seigneur, pour qui chaque personne peut et doit prendre des décisions dans l’intérêt de toute la communauté. Par leur prétendue sagesse, ces diktats économiques subordonnent nos choix à un darwinisme social inhumain auquel seule une minorité de bien nantis pourra survivre. Ils contredisent la Parole du Seigneur, exigeant de chacun et de chacune d’entre nous, d’être un être moral juste et équitable, qui oriente ses choix éthiques vers le bien de sa communauté. De plus en plus de chrétiens et de chrétiennes jugent ces lignes de conduite économique antidémocratiques et dès lors dangereuses, car elles nient la responsabilité morale que nous avons de répondre à la question: « Qu’est-ce que le Seigneur exige de nous aujourd’hui? ». Elles ramènent finalement nos choix éthiques à une question de conduite individuelle ou encore à des gestes de charité personnelle.
Des choix moraux
Le Seigneur exige de nous aujourd’hui, comme individus et comme membres d’une communauté, de faire des choix éthiques et moraux conformes à sa Parole. Même si nous vivons en une période trouble où s’effrite le sens de la communauté, certains choix sont encore possibles! Rebâtir la communauté exige que nous fondions nos choix moraux collectifs sur les valeurs qui nous définissent.
« Qu’est-ce que le Seigneur exige de nous aujourd’hui? »: que nous nous rappelions que toute personne a été créée à l’image de Dieu. Etant créés à l’image et à la ressemblance de Dieu, nous sommes unis au Seigneur et unis les uns aux autres. Au sein de la famille humaine, le Seigneur se soucie de toutes les personnes, notamment des plus pauvres, et Il invite ceux et celles d’entre nous qui sont plus fortunés, à devenir avec Lui co-responsables de la communauté. Jésus a enseigné: « Heureux les pauvres…Heureux ceux qui pleurent… Heureux les doux. » (Matthieu 5, 1-12) Quand nous nous responsabilisons, nos choix prennent appui sur des valeurs morales authentiques. Voici sept valeurs morales que nos communautés de foi préconisent dans nos milieux respectifs.
La dignité humaine
Toute personne, quelle que soit sa communauté, a le droit d’être traitée avec justice, amour, compassion et respect; elle a la responsabilité de traiter les autres de la même manière.
La responsabilité mutuelle
Chaque communauté a le devoir de se soucier de tous ses membres et de partager ses biens avec eux pour répondre à leurs besoins humains fondamentaux.
L’équité sociale
Toute personne a droit de bénéficier des ressources de base et de participer pleinement à la vie de sa communauté et aux décisions qui y sont prises.
L’équité dans les rapports femmes-hommes
Chaque femme, chaque homme, d’une manière égale, a droit d’avoir accès aux ressources de base et de participer pleinement à la vie et aux décisions de la communauté.
L’équité économique
Toute personne, quelle que soit sa communauté, a droit d’avoir accès aux ressources nécessaires pour vivre pleinement sa vie: un travail utile, de justes conditions de travail, la sécurité de revenu, et d’être co-responsables de l’affectation et de l’utilisation des biens de la communauté.
La justice fiscale
Toute personne a la responsabilité de contribuer, selon les dons qu’elle a reçus et selon des normes fiscales équitables, au mieux-être de sa communauté.
La viabilité écologique
Chaque personne, chaque communauté se doit d’être co-responsables de la vie et de la survie de la planète et de son environnement, de manière à préserver la création pour les générations à venir.
Co-responsabilité communautaire
Un choix économique est authentiquement éthique lorsqu’il se fonde sur les valeurs qui bâtissent véritablement une communauté. Nous devons faire des choix qui respectent la dignité humaine, notamment celle des appauvris. Les valeurs indiquées ci-dessus peuvent contribuer à assumer communautairement cette responsabilité. Plusieurs de ces valeurs sont garanties par des conventions et des pactes internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme et ses Pactes afférents. Pour des chrétiens et des chrétiennes ces valeurs expriment également l’exigence du Seigneur à l’endroit de ces disciples, notamment son commandement à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Ces valeurs deviennent pour nous des repères moraux pour éclairer nos choix économiques en tenant compte de notre avenir commun.
Une économie de l’espoir
Il existe au sein de nos communautés de croyants et de croyantes, un sentiment de plus en plus répandu, à savoir: plusieurs programmes et priorités politiques s’orientent dans une mauvaise direction. Nous n’avons qu’à écouter les nombreuses dénonciations des politiques fédérales et provinciales qui affectent les appauvris, les sans emploi, les personnes âgées, les femmes, les Premières nations, les nouveaux arrivants, les enfants, les jeunes.
Ces programmes ont d’ailleurs eu comme résultats de semer des divisions sociales désastreuses, de diviser les pauvres, les travailleurs à faible revenu, les chômeurs et les chômeuses, et les gens de la classe moyenne. La mauvaise gestion de l’économie ajoutée aux cafouillages de certains leaders nous ont jetés dans une véritable crise sociale. Nous n’en sortirons qu’après de réelles discussions et une participation accrue des gens aux décisions à prendre. Loin de contribuer à la prospérité pour tous, les résultats des choix faits jusqu’à maintenant ont engendré plutôt des disparités et des désespoirs outrageants. Il y a sûrement moyen de faire mieux. Ce dont nous avons présentement besoin au Canada, c’est une économie de l’espoir.
Les Eglises s’efforcent elles aussi de trouver des solutions de rechange à notre avenir économique, car il en va de la volonté de Dieu au sujet de l’humanité et même de la crédibilité de notre message. Quand des voies semblent sans issue, il est juste de rechercher un nouveau chemin vers l’avenir. Depuis quelques décennies, les Eglises ont développé, en partenariat avec des communautés de pays pauvres, de nouveaux modèles de développement qui pourraient éclairer notre propre développement économique. Elles ont aussi appuyé des expériences de développement communautaire au Canada. Grâce aux programmes d’éducation et de solidarité comme ceux de Développement et Paix, de Dix jours de développement mondial et le Projet oecuménique de formation en économie (Ecumenical Trining for Economic Justice), les fidèles explorent de nouvelles voies. Récemment, les Eglises se sont même associées à des groupes communautaires en vue de préparer une Alternative budgétaire fédérale. Notre but est de mettre de l’avant des propositions concrètes qui reflètent les valeurs essentielles de nos communautés de foi. Voici dix questions que nous avons retenues pour élaborer des solutions budgétaires de rechange.
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Comment le Budget présenté répond-il aux besoins fondamentaux de tous les gens, notamment en ce qui a trait à la nourriture, aux vêtements et au logement?
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Comment le Budget présenté permet-il la création d’emplois qui procurent aux gens des revenus adéquats?
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Comment le Budget présenté assure-il la sécurité de revenus et les services de soutien pour toute personne incapable de travailler?
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Comment le Budget présenté répond-il vraiment aux besoins élémentaires en matière de santé, d’éducation et de culture?
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Comment le Budget présenté assure-t-il une justice économique et sociale aux femmes, aux enfants, aux gens de couleur et aux jeunes?
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Comment le Budget présenté répond-il aux besoins des Premières nations?
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Comment le Budget présenté assure-t-il pour le monde et la biosphère une viabilité qui repose sur toute autre chose que la consommation toujours plus effrénée des ressources naturelles?
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Comment le Budget présenté traduit-il l’engagement du Gouvernement à respecter les pactes internationaux que le Canada a volontairement signés?
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Comment le Budget présenté tient-il compte des capacités des personnes et des groupes pour réduire au minimum les écarts flagrants entre riches et appauvris?
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Comment le Budget présenté traduit-il les obligations que nous avons prises à l’endroit des autres pays, en particulier des pauvres et des opprimés?
Ces quelques questions peuvent aider les fidèles à évaluer les choix que font et que feront nos gouvernants. Elles servent à la fois de repères moraux pour des choix responsables et de fondements pour une politique économique solide.
Des routes d’espoir
Il existe des choix qui puissent répondre à nos critères. Les dépenses sociales sont loin d’être la principale cause de la dette ou du déficit national. Ainsi, avant de fixer nos choix, examinons sérieusement les divers moyens à prendre: réduire les taux d’intérêt, faire financer la dette nationale par la Banque du Canada, promouvoir une croissance qui crée des emplois et qui respecte l’environnement, augmenter les revenus fiscaux par une plus grande équité, valoriser le travail non rémunéré ainsi que l’apport du secteur bénévole et du secteur social, élaborer des approches novatrices afin de résoudre la crise financière. A notre avis, la préparation de l’Alternative budgétaire fait partie des initiatives susceptibles de conduire à une économie de l’espoir.
« Qu’est-ce que le Seigneur exige de nous aujourd’hui? ». Tout simplement que nous acceptions les responsabilités que nous avons les uns envers les autres. Il n’y a rien comme la crise actuelle pour mettre à l’épreuve nos principes. Cette épreuve exige de chacun et de chacune d’entre nous des sacrifices, chacun à sa mesure! Elle exige aussi, à nouveau, un esprit de générosité et de solidarité. Selon l’antique croyance des Hébreux, Dieu invitait à une année de jubilé, à tous les cinquante ans. Quand arrivait l’année du jubilé, les terres étaient rendues, les dettes oubliées, les champs laissés en jachère, afin que l’égalité sociale soit rétablie et que l’on reconnaisse que Dieu était ultimement le seul pourvoyeur, le seul à posséder toute chose. L’esprit du jubilé ne serait-il pas ce que le Seigneur exige de nous en ce moment?
Le poème de la nicaraguayenne Marianela Corriols Molina peut décrire l’esprit de renouveau que nous souhaitons:
« Je veux un nouvel ordre pour inonder le monde De rires et de chansons, y semer des écoles Du pain et des poèmes ainsi que des enfants Qui n’auraient jamais faim et puis des jeunes aussi Qui ne feraient plus la guerre. »
Ce message est appuyé par les organismes religieux suivants:
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Anglican Church of Canada – Eco-Justice
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Conférence religieuse canadienne – nationale
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Church and Society Steering Committee, Divison of Mission in Canada, United Church of Canada
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Commission épiscopale des affaires sociales, Conférence des évêques catholiques du Canada
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Justice Ministries Committee, Presbyterian Church in Canada
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Working Group on Public Policy and Church and Society, Evangelical Lutheran Church in Canada (ELCIC)
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À prier avec ferveur pour les personnes qui souffrent et qui sont dans le besoin;
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À réfléchir et à échanger sur les dimensions éthiques et morales de nos choix économiques;
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À observer une journée de jeûne par mois;
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À oeuvrer en faveur du maintien des programmes sociaux fondés sur des critères susceptibles d’assurer une réponse aux besoins des gens;
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À susciter chez les individus et les communautés une plus grande générosité et une plus grande solidarité dans les dons de charité mais également dans le maintien des programmes pour les pauvres, les personnes âgées, les femmes, les enfants et les nouveaux arrivants;
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À se servir de l’Alternative budgétaire comme d’un outil pour imaginer et appuyer un budget d’espoir pour tous les gens;
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À échanger avec les gens de votre milieu sur la présente déclaration des Eglises et à en parler avec les députés des divers paliers gouvernementaux.
Source : Sylvain Salvas
Directeur du Service des communications
Conférence des évêques catholiques du Canada
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Téléc. : (613) 241-9048