Transmettre l'amour du Christ à travers la mission de Développement et Paix

jeudi le 31 mai 2007


Message pastoral pour le 40e anniversaire de
l’Organisation catholique canadienne pour le Développement et la Paix

Chers frères et sœurs dans le Christ,

Nul d’entre nous ne pourra jamais mesurer totalement l’ampleur de la contribution de l’Organisation catholique canadienne pour le Développement et la Paix sur la scène internationale, ni apprécier à leur valeur réelle les façons multiples par lesquelles cet organisme a depuis quarante ans contribué à améliorer les conditions de vie de familles et de communautés entières des régions les plus démunies du monde.  Ces réalisations concrètes de lutte contre la pauvreté et l’injustice reflètent quelque chose de la foi agissant par l’amour, et ultimement, du désir étonnant de Dieu qui fait de l’être humain un instrument de sa paix.

En 1967, le Pape Paul VI a reconnu que « les disparités économiques, sociales et culturelles trop grandes entre peuples provoquent tensions et discordes, et mettent la paix en péril ».[1]  C’est pourquoi il a affirmé que le nouveau nom de la paix était le développement. En effet, la paix dépend de la justice, de la solidarité et d’un respect inébranlable pour la dignité de la vie humaine à chaque étape et en toute condition, et ce, dans la perspective du bien commun.

1. L’appel prophétique à une civilisation de l’amour

Les propos de Paul VI conduisirent les évêques catholiques du Canada à fonder l’organisme Développement et Paix en 1967.  Dans une lettre pastorale marquant l’événement, les évêques canadiens définirent en ces termes la raison d’être du nouvel organisme qui :

« …se mettra au service de tous les hommes, sans distinction de race, de croyance ou d’ídéologie. L’aide sera accordée selon les besoins et en fonction de la valeur intrinsèque des projets. On tiendra compte des critères de priorité, d’efficacité et de valorisation humaine et sociale… Nous sommes convaincus que nous, qui voulons appeler ses disciples, devons partager Son amour et Sa compassion en faisant généreusement les sacrifices que cet amour requiert de nous ».[2]

Les évêques du Canada en appelaient alors à la « création d’une humanité renouvelée »[3], à la construction d’un monde où les hommes et les femmes « puissent vivre une vie pleinement humaine, affranchie des servitudes… ou d’une nature insuffisamment maîtrisée »[4]. Le mandat de Développement et Paix s’inscrit donc en droite ligne avec l’appel lancé par le Pape Paul VI à édifier une « civilisation de l’amour ».

2. Témoin d’un amour en action

L’activité multiforme de Développement et Paix est un moyen privilégié de l’Église catholique au Canada pour exprimer concrètement son amour préférentiel pour les pauvres, les marginaux et les opprimés.  Aujourd’hui, en communion avec l’Église universelle et en fidélité à l’Évangile, les catholiques de notre pays affirment avec une détermination renouvelée leur engagement au service de l’amour que constitue l’œuvre de cet organisme.

Cet engagement est l’expression vivante de l’amour que Dieu lui-même porte à toute l’humanité. Il ne saurait, pour cette raison, s’envisager que sous un aspect purement technique.  Dans les dernières années de son pontificat, Jean-Paul II écrivait :

« Dans le Christ, Dieu a vraiment assumé un ‘cœur de chair’.  Il n’a pas seulement un cœur divin, riche en miséricorde et en pardon, mais il a aussi un cœur humain, capable de toutes les vibrations de l’affection ».[5]

Au cours des quarante dernières années, Développement et Paix a rendu des services extraordinaires aux populations appauvries du Sud.  L’organisme a acheminé 500 millions $ pour 14 665 projets et programmes dans pas moins de soixante-dix pays du Sud.  De cette somme, 120 millions $ ont été affectés aux secours d’urgence pour répondre aux catastrophes naturelles ou au transfert de personnes réfugiées à la suite de guerres et de conflits civils.  Par exemple, à la suite de la dévastation causée par le Tsunami en Asie du Sud-Est en 2004, Développement et Paix est entré en partenariat avec plusieurs communautés de cette région afin de construire des milliers de nouvelles maisons.  Les projets appuyés par l’organisme dans les pays en voie de développement incluent des programmes d’édification de la paix et d’éducation civique, de développement communautaire, de relance de l’économie sociale, d’amélioration de la production agricole, de promotion des droits humains et d’éducation ainsi que des campagnes contre des politiques destructrices comme le brevetage des semences et la privatisation de l’eau.

Tous ces projets n’auraient pu voir le jour sans la solidarité et la générosité des catholiques canadiens, sans le don de leur temps et de leur argent, sans leurs prières et leur engagement.  Par cette solidarité s’exprime on ne peut mieux le respect de la dignité de la personne dans l’épreuve, qu’il s’agisse d’un désastre naturel, d’une guerre, de la famine ou de la pauvreté.  Les évêques canadiens tiennent à exprimer leur reconnaissance et gratitude à tous les gens de bonne volonté au pays qui soutiennent fidèlement Développement et Paix depuis sa création en 1967.

3. Une globalisation de la solidarité

Les défis du développement restent néanmoins nombreux et sont pour le moins préoccupants.  Nous sommes encore à notre époque témoins de l’humiliation et de la marginalisation de segments entiers de la population – des gens qui sont aimés par Dieu et créés à son image, mais qui sont rejetés et exclus par la société.  Il ne faut pas hésiter à dire, comme Jean-Paul II l’avait souligné dans Ecclesia in America, que le monde actuel est confronté à la réalité des « péchés sociaux qui crient vers le ciel », péchés parmi lesquels on peut nommer en particulier : « le commerce de la drogue, le recyclage des bénéfices illicites, la corruption dans quelque domaine que ce soit, la violence terroriste, la course aux armements, la discrimination raciale, les inégalités entre les groupes sociaux, la destruction irraisonnée de la nature ».[6]

« […] ces péchés manifestent une crise profonde due à la perte du sens de Dieu et à l’absence des principes moraux qui doivent guider la vie de tout homme.  Sans références morales, on tombe dans la soif illimitée de la richesse et du pouvoir, qui obscurcit toute vision évangélique de la réalité sociale ».[7]

Cette réalité est signe « des liens profonds entre évangélisation et promotion humaine » parce que l’homme « est sujet aux questions sociales et économiques »[8].  La vision évangélique de la réalité sociale se pose en signe de contradiction par rapport au néo-libéralisme et à sa « conception purement économique de l’être humain »[9]. Le Christ a donné sa vie en sacrifice pour tous, pour que la vraie liberté soit accordée à toute la famille humaine comme à chacun de ses membres.  En conséquence, comme l’a souligné le pape Benoît XVI, il est nécessaire d’expliciter « la relation entre Mystère eucharistique et engagement social »[10]. Les catholiques sont donc appelés

« […] à une globalisation de la solidarité au nom de la dignité inaliénable de la personne humaine, surtout quand des êtres sans défense sont frappés par des catastrophes naturelles, broyés par les aveugles machines de guerre et d’exploitation économique et confinés dans des camps de réfugiés ».[11]

La vocation chrétienne vise à communier à la vie divine et à bâtir une communauté qui promeut l’Évangile de la vie. Développement et Paix se situe dans la ligne de cette vocation.  Les forces et systèmes qui menacent la dignité humaine ne peuvent avoir le dernier mot, devant la réalité définitive que constitue l’œuvre rédemptrice du Christ.

De tout cela il découle que le rôle de Développement et Paix ne peut pas être simplement considéré comme similaire à celui des organismes séculiers.  À travers Développement et Paix, les catholiques sont appelés à donner non seulement de leur surplus, mais aussi de leur substance.  Telle est bien l’interpellation de Jésus à ses disciples :

 « Je vous le dis, cette veuve, qui est pauvre, a mis plus que tous ceux qui mettent dans le Trésor.  Car tous ont mis de leur superflu, mais elle, de son indigence, a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre » (Mc 12, 43-44).

Travaillant ensemble comme Peuple de Dieu, nous sommes appelés à entrer dans une communion et un dialogue plus profonds avec les groupes humains qui traversent des moments de grandes épreuves et de vulnérabilité.  Ainsi, Développement et Paix n’est pas motivé « par des idéologies visant à changer le monde » et forcément fondées sur des théories, mais bien plutôt par la ferme promesse des Béatitudes.  C’est uniquement de cette façon que l’œuvre de justice sociale est effectivement et substantiellement juste. Elle refuse de marginaliser l’être vulnérable et l’étranger.  L’organisme Développement et Paix aide l’Église au Canada à croître dans cet amour dont parle Sa Sainteté Benoît XVI, à l’aube du Carême 2007 : « Accepter son amour [du Seigneur]… ne suffit pas. Il s’agit de correspondre à un tel amour pour ensuite s’engager à le communiquer aux autres : le Christ « m’attire à lui » pour s’unir à moi, pour que j’apprenne à aimer mes frères du même amour », de telle sorte que l’on apprenne à s’aimer les uns les autres avec l’amour même du Christ. [12]

La conscience sociale de l’humanité s’est accrue de façon remarquable sur plus d’un plan depuis 1967.  On observe ainsi un dialogue plus substantiel sur les droits humains et un combat incessant pour la justice et l’égalité.  Cependant, force est d’admettre aussi que les quarante dernières années n’ont pas apporté un changement radical concernant les situations de pauvreté – les pauvres sont en fait plus nombreux, et leurs conditions de vie actuelles encore moins supportables.  Comme communauté chrétienne, nous devons percevoir dans une telle situation un appel à l’engagement  pour Développement et Paix.  Les défis de justice et de paix sociales ne peuvent jamais être tenus à distance de la vie chrétienne, à vrai dire, et cette exigence d’une foi agissante par les œuvres d’amour comporte l’élément du don de soi, selon la belle réflexion du Pape Benoît XVI :

« L’action concrète demeure insuffisante si, en elle, l’amour pour l’homme n’est pas perceptible, un amour qui se nourrit de la rencontre avec le Christ. La participation profonde et personnelle aux besoins et aux souffrances d’autrui devient ainsi une façon de m’associer à lui : pour que le don n’humilie pas l’autre, je dois lui donner non seulement quelque chose de moi, mais moi-même, je dois être présent dans le don en tant que personne ».[13]

L’Organisation catholique canadienne pour le Développement et la Paix doit continuer à croître et à rayonner comme expression significative de l’engagement de l’Église au Canada auprès de nos frères et sœurs en humanité.  Comme l’Évangile le souligne, le Seigneur s’est reconnu lui-même dans la personne du pauvre : « Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire… » (Mt 25, 35).  Que le Seigneur fasse fructifier l’œuvre de Développement et Paix comme manifestation de son amour même, et puissent les catholiques continuer de recevoir et de communiquer cet amour divin particulièrement à toute personne dans le besoin.

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+ André Gaumond
Archevêque de Sherbrooke
Président
Conférence des évêques catholiques du Canada

Cinquième dimanche de Pâques, le 6 mai 2007


 

[1] Paul VI, Populorum Progressio, numéro 76.

[2] Conférence catholique canadienne, Lettre pastorale collective de l’épiscopat canadien sur le développement et la paix, 14 mars 1968, p. 6.

[3]   Conférence catholique canadienne, Lettre pastorale collective de l’épiscopat canadien sur le développement et la paix, 14 mars 1968, p. 3.

[4] Paul VI, Populorum Progressio, numéro 47.

[5] Jean-Paul II, Rosarium Virginis Mariae, numéro 26.

[6] Jean-Paul II, Ecclesia in America, numéro 56 (citant la proposition 70).

[7] Jean-Paul II, Ecclesia in America, numéro 56.

[8] Compendium de la doctrine sociale de l’Église, no 66

[9] Jean-Paul II, Ecclesia in America, numéro 56.

[10] Benoît XVI, Sacramentum Caritatis, no 89.

[11] L’Eucharistie : Don de Dieu pour la vie du monde.  Texte de base du 49e Congrès eucharistique international, 2006, p. 57.

[12] Benoît XVI, Message pour le Carême 2007.

[13] Benoît XVI, Deus caritas est, numéro 34.