Budget fédéral 2003 : Un appel au ministre des Finances concernant la santé, l'environnement, la pauvreté et le développement international

samedi le 12 février 0203


L’honorable John Manley
Vice-premier ministre
Ministre des finances
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A 0G5

Cher Monsieur Manley,

Les membres de la Commission épiscopale des affaires sociales, comme beaucoup de Canadiennes et de Canadiens, attendent le prochain budget fédéral avec espoir. Lorsque nous essayons de discerner les désirs les plus chers au cœur de nos communautés, nous entendons leur cri pour la justice et l’équité. Lorsque nous écoutons attentivement les besoins de notre peuple, nous ouvrons notre cœur pour embrasser également les besoins des peuples d’autres pays. Quand les Canadiennes et les Canadiens parlent des besoins de leur communauté, nos pensées sont aussi guidées par le Livre des Proverbes qui nous met en garde :

Ne refuse pas de faire du bien à qui en a besoin
quand tu peux le faire.
Ne dis pas à ton prochain : « Va-t-en! Tu reviendras demain!
alors je te donnerai » quand tu as ce qu’il faut.

(3, 27-28)

Les priorités de dépenses d’un budget fédéral en disent long sur les valeurs sous-jacentes choisies pour guider la vie quotidienne de notre prochain. C’est cette conviction qui anime notre espoir de voir le prochain budget fédéral engager des actions décisives dans les domaines de la santé, de la préservation de l’environnement, de la pauvreté des enfants et des familles, et de l’appui au développement international.

La santé au Canada

Les Églises chrétiennes ont proposé une Alliance sur des soins de santé pour tous au Canada comme notre contribution au débat sur les soins de santé, et nous nous réjouissions de voir que monsieur Romanow retenait cette idée dans la première recommandation du rapport de sa Commission. Les valeurs clés de solidarité, de communauté, d’équité, de compassion et d’efficacité (qui sous-tendent le régime public d’assurance-maladie) devraient avoir priorité sur une approche de la santé guidée par le marché. Dans cette perspective, on doit voir la santé comme étant holistique – comprenant le bien-être physique, émotif, spirituel et social – et comme un bien public. Nous nous opposons donc à tout nouveau développement de services de santé privés et à but lucratif.

Nous espérons voir le gouvernement fédéral s’engager résolument, dans le prochain budget fédéral constitué selon la récente entente des Premiers ministres, à accroître de façon substantielle les ressources financières du régime de santé (monsieur Romanow suggère que le plancher des engagements financiers fédéraux se situe en 2005-2006 à 25 p. cent des coûts des services de santé assurés sous la Loi canadienne sur la santé, suivi d’une progression régulière par la suite). La transition vers une croissance stable et à long terme du financement doit inclure l’établissement de programmes de soins à domicile et d’assurance-médicaments, selon des mécanismes appropriés négociés avec les provinces, étant sauve leur compétence en ce domaine, garantissant l’imputabilité face à ces nouvelles dépenses (à cet égard, monsieur Romanow recommandait l’établissement d’un Conseil canadien de la santé).

La santé de notre monde

En trois occasions distinctes en 2002, les évêques catholiques du Canada ont publiquement encouragé le gouvernement fédéral à signer le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques. Dans une lettre adressée en juin 2002 à l’honorable David Anderson, ministre de l’Environnement, nous écrivions : « Les défis posés par les changements climatiques sont fondamentalement moraux aussi bien que spirituels … Signer le Protocole de Kyoto est à la fois une nécessaire responsabilité et un symbole de l’engagement du Canada pour la santé du monde ». En fait, comme le Canada a donné par la suite un appui clair à Kyoto, un budget fédéral responsable doit refléter les priorités de dépense nécessaires pour qu’une stratégie de transition économique devienne réalité.

Le Centre canadien de politiques alternatives a suggéré que le surplus anticipé de huit milliards de dollars pour l’année fiscale en cours soit versé dans un Fonds d’investissement et de transition Kyoto innovateur. Un large amalgame de mesures politiques s’offre à nous et pourrait inclure, par exemple, la conversion des subsides fiscaux actuellement accordés pour la production d’énergie conventionnelle en crédits de taxes pour des sources d’énergie plus efficaces, l’imposition de taxes sur le carbone, des subventions aux véhicules énergiquement efficaces, et la promotion du transport de masse urbain public. Le but de ces mesures vise à encourager les impacts positifs sur la santé et les bénéfices sociaux et même économiques au fur et mesure que nous réduisons nos émissions de gaz à effet de serre. On peut même concevoir qu’une réduction de notre dépendance vis-à-vis l’économie du pétrole allégera aussi les tensions dans les régions de conflits, tel le Moyen-Orient. Pour ces raisons, nous continuerons aussi d’inviter les Canadiennes et les Canadiens à examiner leur style de vie personnel et communautaire afin de s’engager à diminuer leur propre usage d’énergie fossile et de choisir un avenir plus viable d’un point de vue environnemental.

La pauvreté au Canada

La population canadienne est à coup sûr réconfortée de voir que le nombre d’enfants pauvres a chuté au Canada, passant de un sur cinq à un sur six pour la première fois depuis 1989. Pourtant, puisque la pauvreté infantile a de fait augmenté depuis l’année où le Parlement s’est unanimement mis d’accord pour mettre fin à ce fléau au plus tard en l’an 2000, une volonté plus résolue doit se manifester.

La Campagne 2000 et les 85 organisations qui y participent ont demandé qu’on adopte une stratégie anti-pauvreté à trois volets. Par exemple : un soutien accru au revenu par des bénéfices plus complets pour les enfants, la construction de nouvelles unités d’habitation à prix abordable, et une stratégie nationale d’éducation et de soins pour la petite enfance. Un bénéfice fiscal canadien consolidé allant jusqu’à 4 200 dollars par enfant, consenti aux familles sans égard à la source de leur revenu et non « récupéré » par les gouvernements provinciaux, est requis. De plus, on a besoin d’un milliard de dollars additionnel pour des soins aux enfants de haute qualité et accessibles pour toutes les familles. De même, la création de 20 000 nouvelles unités d’habitation à prix abordable et la rénovation de 10 000 unités d’habitation à prix abordable requièrent qu’on s’engage à leur accorder au moins 1 milliard de dollars par année durant les cinq prochaines années.

Le Premier ministre déclarait dans sa réponse au discours du Trône en octobre 2002 : « Nous devons accorder aux familles et aux enfants du Canada la première priorité … dans le prochain budget, pour instaurer un plan d’investissement à long terme pour surmonter la pauvreté infantile et briser le cycle de la pauvreté et de la dépendance pour les familles canadiennes ». La stratégie à trois volets exposée ci-dessus est certes une voie pour y parvenir.

La pauvreté dans le monde

L’Organisation catholique canadienne pour le développement et la paix (OCCDP) a souligné « le sous-financement systématique du programme d’aide internationale du Canada au cours des dernières années ». Alors que les évêques du Canada ont constamment invité le gouvernement fédéral à augmenter l’appui au développement outre-mer, nous avons exprimé à plusieurs reprises notre découragement face à la performance lamentable du Canada. L’été passé, nous avons vu le premier ministre renouveler son engagement à accroître le budget d’aide au développement de 8 p. cent au cours des prochaines années. Le budget qui vient doit au moins tenir cette promesse et réaliser l’engagement soutenu du Canada de concrétiser les Objectifs de développement du Millénaire.

Mais nous nous préoccupons aussi de la nécessité pour le Canada de réitérer son engagement pour la qualité (autant que pour la quantité) des programmes d’aide au développement. Comme plusieurs milliers de donatrices et donateurs canadiens et de personnes engagées dans l’action, nous sommes convaincus qu’on peut y parvenir par un appui renouvelé aux « programmes responsifs » d’ONG respectées telle l’OCCDP. De plus, dans les forums multilatéraux et bilatéraux, le Canada doit reprendre un rôle de leader pour l’annulation de la dette des pays les plus pauvres, en particulier celle des pays de l’Afrique sub-saharienne. Non seulement doit-on donner une nouvelle impulsion à ce travail, mais encore le Canada doit rehausser grandement ses engagements financiers pour le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.

Monsieur Manley, au moment où vous préparez votre premier budget, nous comprenons que les pressions politiques venues de nombreux et divers cercles doivent être énormes et se faire insistantes. Alors que les voix concurrentes atteignent un crescendo, nous vous demandons de vous souvenir des plus petites voix du Canada et d’outre-mer, ou tel que mentionné dans le Livre des Proverbes «à qui en a besoin » .

Nous vous souhaitons toutes les bénédictions dans votre effort de discernement et de préparation pour cet important document.

Sincèrement vôtre,

Mgr Jean Gagnon
Évêque de Gaspé
Président de la Commission épiscopale des affaires sociales


Source : Sylvain Salvas
Directeur du Service des communications
Conférence des évêques catholiques du Canada
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